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Chez Garrel, l’enfant est roi, qu’il prenne les traits d’un petit garçon ou de Jean-Pierre Léaud. L’enfant comme symbole d’une innocence tyrannique, au centre d’une existence qui cherche un sens désespérément. Zouzou dans La concentration accouche d’un enfant imaginaire qu’elle berce et protège d’un père qui ne le voit pas, ce père qui le tuera à force de ne pas y croire. Le Christ du Lit de la vierge revient inlassablement dans les jupes de sa mère qui le réconforte face à un monde auquel il ne s’adapte pas, et Marie pour Mémoire se clôt sur Zouzou et un petit garçon répétant les phrases d’anglais sortant d’un tourne-disque. La famille comme noyau à la fois impossible et indivisible. Au groupe s’opposent des solitudes douloureuses dont les corps ne peuvent s’échapper, malgré les incursions du réalisateur dans l’image et l’espace son. Souvent, Garrel apparaît au détour d’un reflet, faisant parfois l’acteur, comme un témoin de l’autre monde, celui qui existe en dehors de l’espace délimité par la caméra, voulant peut-être à tout prix diriger un univers qu’il ne contrôle pas tout à fait, ou peut-être ne voulant pas aller jusqu’au bout et enfermer les corps et le film dans ce qu’il sait pouvoir devenir un cliché, ne supportant pas d’aller au fin fond de son désir. Ainsi se fait-il entendre dans Elle a passé tant d’heures sous les sunlights, comme exaspéré par son propre projet.

Les films de Garrel se font dans la douleur aussi bien que dans la facilité, paradoxe constant entre le plaisir et la souffrance, la beauté et la barbarie. L’incarnation de ces contradictions, entre l’envie viscérale de filmer et la peur de capturer l’image, est celle des visages féminins surexposés des Hautes solitudes et du Bleu des origines. La matière est toujours fugitive, les visages s’offrent au filmage, se laissant happer dans leur plus profonde intimité (les larmes), mais Garrel les fait évanescents, toujours tenté de les surexposer. Nous comprenons alors qu’il n’est « pas étonnant que l’humanisme sous toutes ses formes l’ait toujours exalté (le visage), en faisant à la fois le plus vivant et le plus signifiant de ce que je donne à autrui, et paradoxalement le masque qui permet de ne rien donner à voir, de ne rien donner du tout. ». (1)

Ce qui fascine et met mal à l’aise dans ces visages, c’est la puissance d’une promiscuité inquiétante. Garrel illustre ce principe exprimé par Balazs qui dit que « lorsqu’un visage que nous venons de voir au milieu d’une foule est détaché de son environnement, mis en relief, c’est comme si nous étions soudain face à face avec lui. » (2). Ce face à face qui utilise avec force l’interdit du regard-caméra renvoie toute la tristesse du monde au spectateur qui peut à la fois se reconnaître et rendre à ce visage son regard, dans une complicité secrète. Le regard porté est moins l’expression d’une accusation que celle de la constatation d’une solitude inaltérable. Ce corps et ce visage filmés et regardés joignent l’intimité à une distance infranchissable. Pourtant, on sent derrière cette image le désir du filmeur d’aller au-delà de la caméra, de saisir l’image et de la garder pour lui sans pourtant y parvenir.