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Kill Bill (c) D.R.

Partout, on félicitait Tarantino de réinvestir des genres et des formes prétendument mineurs. Il les faisait tourner à plein régime, y insufflait toute la puissance de la mécanique hollywoodienne pour un hommage survitaminé, intensifiait leurs effets, surenchérissait sur leurs codes, brutalisait leurs limites, dépoussiérait, modernisait, tout ce qu’on voudra, enfin, en un mot : mettait la gomme.

Mais toute cette énergie, au service de quoi était-elle déployée ? Si l’on en jugeait d’après Kill Bill 1, au service de rien, du vide, du vent.

Ce cinéma du clin d’œil (ce Bruce Lee, il était quand même sensass dans sa combi), de la citation et même de l’auto-citation (The Bride redessinant du doigt, dans la première séquence de K.B., ce carré imaginaire que Mia Wallace avait esquissé avant elle avec force pointillés roses dans Pulp Fiction), de la parodie et du renvoi, s’il flattait le spectateur érudit (satisfaction narcissique du « recognise and enjoy », de l’impression de déjà vu) se révélait d’une vacuité absolue. Nous était présentée une suite d’images clinquantes et de musiques grisantes, un exercice de style maîtrisé, un entrelacs brillant de références composant une surface réfléchissante dans laquelle le cinéphile amateur ou professionnel (avatar ravi de Mr T.) pouvait se mirer et se féliciter de l’étendue de sa culture. Mais cette surface à la beauté glacée ne renvoyait à rien, se suffisait à elle-même. La forme n’était plus le fond remontant à la surface, mais devenait une tautologie vertigineuse, un réseau arachnéen de représentations stéréotypées se faisant échos, de signifiants sans signifiés, d’images qui, en somme, faisait l’économie du monde, de la vie, des êtres.

  Kill Bill (c) D.R.

The Bride, dont nous suivions la quête prétexte, était trucidée, matraquée, violée et ces horribles vicissitudes nous étaient exposées avec l’œil narquois et complices du professionnel aguerri. On nous disait en substance ceci : Regarde comme elle morfle, tu vas voir, ils vont manger. Mais d’empathie, il n’était pas question. Ou si peu (voir la scène de rééducation, seule peut-être chargée d’humanité, où l’insistance de l’auteur à nous exposer les orteils imparfaits de son héroïne n’était pas exempte de tendresse). On éprouvait ni colère devant les drames (les violeurs, deux hurluberlus grotesques, faisaient figure d’aimables pantins), ni compassion pour l’héroïne, ni soulagement quand sa vengeance s’accomplissait. Les mobiles de cette dernière étaient négligés au point de nous priver du bonheur primitif et cathartique inhérent au genre du revenge movie, ne laissant qu’une débauche de violence stylisée (voir l’usage quasi graphique des effusions de sang) et absurde.

Le constat, on le comprendra aisément après ce réquisitoire, était amer. Et si pour le critique Jean George Auriol, le cinéma était « l’art de faire faire de jolies choses aux jolies femmes» on se disait à voir ce premier volet, que c’était pour Quentin Tarantino la manie de leur faire faire des choses atroces.

Seulement voilà, la tête est retrouvée, l’intégrité de l’œuvre recouvrée, la vision enrichie, Quentin réhabilité. Alléluia !