Nous sommes donc heureuses, l’enseignante
et moi, d’avoir malgré tout persévéré dans nos attachements
et de nous retrouver, en ce jour, pour un travail plus approfondi,
un nouveau défi à relever. En début d’année, elle était venue
me trouver, pendant la formation destinée aux enseignants, paniquée
par son choix d’un film qu’elle ne se sentait pas prête à soutenir
seule, même si elle percevait l’intérêt de le montrer à ses
élèves. Je la rassurais. Du moment que l’on en parlerait
ensuite avec eux, que l’on accompagnerait l’expression de leur
ressenti, qu’on les aiderait à comprendre ce qui les avait laissé
perplexes la première fois en revoyant les images, il n’y avait
rien à craindre. Au contraire, ça ne pouvait être qu’un enrichissement.
Parce que les films choisis ne sont certes pas lisses, ne venant
en rien conforter nos illusions d’un monde merveilleux. Mais
au moins nous disent-il quelque chose de juste et d’important
sur la vie. Chaque film est comme une initiation à la vie. Or
l’initiation, ça n’est jamais simple. Ce n’est jamais naïf.
Ce n’est pas exempt d’une certaine violence. Pas une violence
qui détruit tout gratuitement, comme le cynisme. Mais une violence
qui est de nous forcer à voir enfin ce que l’on avait ignoré
jusque là ( le refoulé), par confort mais qui risquerait de
nous « tuer » si on n’y prenait gare désormais.
Cela peut paraître bien abstrait.
Mais le processus se vérifie précisément pour chaque film que
nous accompagnons. Toujours, il nous dessille, mais pour y parvenir,
les élèves on besoin de l’aide d’un passeur, comme, nous avons
les nôtres, et ainsi de suite. Ce travail mis en place au travers
d’un dispositif comme Lycéens au cinéma, sert donc aussi
à mon sens, la reconstruction d’un lien de parole entre les
générations, qui nous aide à mieux vivre ensemble. Dans un monde
où les liens et les traditions s’effilochent, où l’humain se
perd en utilitarisme et rentabilité nous cherchons
à revenir à l’essentiel : comment se constitue le sujet ?
Comment l’être parvient-il à exister ? Par quels chemins
doit-il nécessairement passer ?
Ces quelques mots pour dire que cela compte
pour moi de pouvoir travailler au long cours avec les mêmes
personnes parce qu’ainsi, on avance mieux, me semble-t-il.
La variété des interlocuteurs peut aussi être une richesse
mais cela n’est pas exclusif et il serait bien d’envisager
la possibilité d’une régularité par ailleurs. Ce que l’on
construit n’est en effet jamais abouti en une seule fois.
Il y a donc dans ces interventions uniques quelque chose d’un
inachevé, insatisfaisant… Je m’appuie là sur une expérience
que j’ai, à contrario, depuis deux ans avec un groupe de patients,
et pour lequel il me semble que ce qui se transmet entre eux
et moi, s’enrichit au fur et à mesure que le temps passe,
parce qu’une vraie relation se noue. N’est-ce pas aussi important
qu’un contenu à transmettre ?