Contact et Elephant se présentent
comme des panneaux d’un diptyque qui se compose des scènes
de l’atavisme et du déchaînement d’une violence sauvage. Elephant
peut faire penser à un film criminel ; Contact peut
rappeler d’autres films de guerre. Dans Elephant, Clarke
a recours à des moyens visuels et acoustiques qui augmentent
les effets dramatiques. Au moment où on décharge les armes,
on voit des étincelles et de la fumée ; de même que le bruit
des coups de feu est parfois doublé par son écho. Il en est
ainsi dans la dernière séquence où les coups de feu résonnent
dans l’espace vide du bâtiment industriel abandonné. Néanmoins,
la représentation de la violence qui est parfois d’un réalisme
cru n’a rien en commun avec celle connue du film d’action.
Ici, elle ne s’exprime pas par les effets pyrotechniques qui
contribuent, en la rendant spectaculaire, à la masquer par
le spectacle. En fait, Clarke, sans avoir recours aux effets
spéciaux, réussit très habillement à créer des moments de
forte tension et de suspense. Il en est ainsi quand, dans
Contact, les soldats s’approchent d’une maison isolée
d’où sortent soudain deux vieillards. Les fusils mis en joue,
ils les fixent du regard. La caméra s’attarde sur eux jusqu’à
ce que le commandant, ayant décidé qu’ils ne sont pas dangereux,
fait signe de continuer la marche. Le suspense naît ici très
souvent d’un changement de rythme ; le film oscille constamment
et, à tout niveau du récit et de la mise en scène, entre l’action
et l’inaction, entre le mouvement et la stagnation. Dans l’espace
créé entre le mouvement et l’arrêt, le sentiment de tension
et d’angoisse que les personnages subissent et renvoient est
omniprésent. Il est encore renforcé par la quasi-absence de
dialogues dans Contact et leur absence totale dans
Elephant. Le silence accentue la dimension atavique
au cœur du film. L’absence de la musique dans les deux films
souligne le rejet de certaines conventions dramatiques fréquemment
en usage dans le film d’action en tant que vecteur possible
de la dramatisation. Les images des deux films semblent être
chargées d’une tension à laquelle les personnages de la fiction
cinématographique aussi bien que les spectateurs ne peuvent
échapper. Ni les coupes franches ni les arrêts brusques de
la caméra ne réussissent à l’évacuer complètement. Dans Elephant,
le cycle de la violence recommence après chaque meurtre. Dans
Contact, le spectateur devient le témoin des actes
brutaux commis par les soldats et de celle des terroristes
anonymes. À trois ou quatre reprises, les coups de feu ou
l’explosion d’une bombe déchirent le silence et font éclater
la violence sourde qui se transforme en cercle infernal où
il n’y a guère d’apogée, où il n’est pas permis au spectateur
de reprendre souffle. La violence est inscrite dans les espaces
et elle régit le temps. Le temps même devient le facteur narratif
et dramatique essentiel qui est lié à la notion de la violence
et à sa représentation. Contact reproduit la routine
quotidienne du régiment. Entre l’action et le repos, il ne
reste aux soldats que l’attente. Clarke les montre en action
et dans l’attente du danger ; il les montre attendant leur
prochaine mission : quand ils prennent leur douche, pendant
qu’ils sont assis dans leur chambre commune, durant leur sommeil.
Cette situation est chargée d’un grand sentiment d’ennui,
lui-même générateur de tension. Contraint à vivre dans un
espace limité, les soldats de Contact subissent la
monotonie de leur service épuisant. Le temps s’avère être
aussi écrasant que l’étroitesse des lieux (5). La répétition
devient génératrice d’un sentiment de crise qui rend la violence
davantage tangible. En tant que fonction narrative, voire
en tant que porteur de signification, elle est encore plus
élaborée dans Elephant où la régularité stylistique
ne permettant que quelques variations devient la forme appropriée
d’un discours filmique qui, comme on le verra encore, implique
une dimension auto-réfléchissante.