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UNE LECTURE POSSIBLE DU CONFLIT EN IRLANDE DU NORD

Into the west (c) D.R.
Les deux panneaux de ce diptyque cinématographique dépeignent de façon brutale des existences qui sont marquées par la volonté de survivre. La représentation extrêmement dépouillée réduit le conflit à son essence cruelle. Il est significatif qu’aucune référence précise des lieux de l’action n’est donnée. C’est la présence des soldats britanniques et de leurs actions qui rend compréhensible le lieu. Elephant propose un jeu de devinette où les pistes qui permettent de donner un sens à l’action sont encore plus brouillées. À part l’indication au générique que le film est une production de la BBC de l’Irlande du Nord, réalisé à Belfast, le récit n’ajoute pratiquement aucun autre renseignement précis sur son contexte géographique. Il faut pouvoir reconnaître le panneau  « Linenhall Street » et pouvoir la situer à Belfast ou encore associer l’architecture de briques rouges, typique de beaucoup de villes industrielles, à la ville en Irlande du Nord. Il manque également toute iconographie habituelle du conflit en Irlande du Nord telle que la télévision l’a diffusée et que des films de fiction l’ont perpétuée. On ne voit ni les terroristes masqués ni les quartiers vétustes de Falls ou de la Shankill Road. La scène d’Elephant est nulle part et elle se place violemment au cœur du conflit.

Contact et Elephant évoquent la guerre en Irlande du Nord pourtant de manière précise en créant des espaces-temps chargés de connotations symboliques et métaphoriques qui signifient sur les plans idéologiques et politiques. Présentant l’un un décor naturel, l’autre un décor urbain, les films étudiés constituent deux volets spatiaux à la fois différents et complémentaires. Le réalisateur utilise un certain nombre de stéréotypes qu’il met à la disposition du spectateur créant ainsi une base de communication avec lui. En Irlande, l’image idéalisée de l’identité reposant sur un modèle rural a été imposée par le nationalisme culturel du début du XXe siècle (7). Ayant dominé le discours politique et culturel pendant des décennies, cette vision est reproduite par le cinéma irlandais contemporain dont en témoigne un film récent comme Into the West (Le cheval venu de la mer, réalisé par Mike Newell en 1993) qui, par ailleurs, vise très clairement un public international. L’importance que les expressions politiques et artistiques accordent au paysage concerne également la perception de l’Irlande par l’extérieur. Car, aussi bien pour l’Anglais que pour un autre étranger, l’Irlande évoque l’idylle champêtre que la littérature a célébrée et que l’industrie de tourisme anime avec succès. Cette idée romantique de l’Île d’Émeraude a été également véhiculée et nourrie par des productions hollywoodiennes qui, tel The Quiet Man (L’Homme tranquille, John Ford, 1952) dépeignent un pays pittoresque peuplé de gens excentriques.

  Contact (c) D.R.
Cependant dans Contact, la nature ne sert pas d’arrière-plan bucolique, mais brosse le portrait dérisoire et perverti de la nature idéalisée. L’idylle n’est qu’une apparence trompeuse ; le paysage irlandais est un terrain encore plus dangereux à cause de ce caractère chimérique. Dans une des séquences, celle de l’arrestation de terroristes présumés, on entend des oiseaux chanter. Le fond sonore apparaît comme un commentaire cynique des événements violents se déroulant sur l’image. L’effet est révélateur de l’autre image que l’on octroie souvent à l’Irlande et qui détermine les représentations de l’Irlande du Nord, cette image de la violence qui est aussi présente dans des productions cinématographiques et télévisées britanniques et américaines. Transformant le paysage en signe, Clarke se sert des stéréotypes culturels afin de les rendre ouverts, de les examiner et de les mettre en question. En tant que figure de l’inconscient anglais, intégrée et exprimée par les discours politiques et artistiques du XIXe siècle, « Ireland represented a rebarbative world which threatened to unmask Britain’s own civility (...). »  (8) Dans Contact, l’Irlande, en tant qu’espace symbolique, apparaît comme la figure de l’autre, révélée dans une expérience qui mène au cœur des ténèbres. L’Irlandais est l’autre, l’ennemi omniprésent, la plupart du temps invisible, sans visage et encore plus anonyme que les soldats. Une telle représentation évoque le répertoire générique du film de guerre. Mais l’image révèle la même réversibilité qui est inhérente à la dichotomie culture/nature. L’identité individuelle réduite au minimum, l’Anglais, lui-aussi, est un autre, un être perçu comme différent, comme étranger. Là où les frontières entre le bon et le mal sont diffuses, l’image se retourne contre lui et dévoile que l’adversaire est en lui-même.