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Le paysage est un terrain hostile où la représentation filmique transforme la nature elle-même en ennemi. Dans la mesure où les jeunes soldats révèlent un statut ambivalent, la situation est encore renversée. Le paysage irlandais devient le corps colonisé, pénétré par l’intrus anglais. Dans la période postcoloniale, le film de Clarke témoigne des vestiges de la politique de l’Empire (9). Ses héritiers continuent à jouir d’un pouvoir absolu. Contact le traduit en des termes individuels et dramatiques dans la séquence où le commandant enfonce le fusil dans la bouche d’un suspect pour obtenir un aveu. La violence en Irlande du Nord constitue un des problèmes politiques non résolus par l’Angleterre. L’espace culturel de cette province du Royaume-Uni apparaît comme un no man’s land privé de toute humanité où le désastre ressemble à une image déformée à l’extrême des crises sociales et politiques de la Grande-Bretagne représentées dans d’autres films de Clarke.

The Firm (c) D.R.
Dans ses films tels Made in Britain, The Firm ou Road, Clarke aborde des aspects variés concernant la société britannique contemporaine de manière très précise. Dans les deux versions de Scum ou dans Made in Britain, il dévoile la faille du système éducatif et social, met en doute les institutions sociales et dénonce leurs agents comme incompétents, corrompus et violents. Ces films mettent à jour une crise sociale profonde où les structures familiales ont éclaté et les liens sociaux se sont disloqués. L’itinéraire du jeune skinhead Trevor (Made in Britain) le mène de l’arrestation à la fuite et à une nouvelle arrestation ; l’adolescent est piégé dans une spirale d’actes violents sans fin prévisible. L’existence de Christine (Christine,1984) est réduite à la consommation et à la distribution de l’héroïne. Les films de Clarke révèlent une maladie qui est inscrite sur l’architecture et les paysages ainsi que sur les corps des protagonistes. La même maladie politique et sociale marque les espaces urbains et les paysages de l’Irlande du Nord dans Contact et dans Elephant. La détection de ce malaise est un des indices de l’existence de liens thématiques et esthétiques très forts qui se tissent entre les films de Clarke et qui permettent d’intégrer les deux films sur l’Irlande du Nord dans l’ensemble de l’œuvre du cinéaste dont les actions sont, pour la plupart du temps, situées en Angleterre métropolitaine.

Sans avoir recours à une vue populiste, Clarke, dans Contact, suggère comment une nation est prête à sacrifier ses jeunes hommes et les transforme en des êtres brutaux. La tension permanente et l’irruption de la violence aussi bien que la monotonie dénoncent l’action militaire comme futile. Les soldats de Contact dont la jeunesse est frappante sont dépassés par les événements auxquels ils ne sont pas préparés tandis que le commandant semble être désillusionné. L’approche du conflit telle que Clarke la propose implique la question de la légitimité de la présence militaire en Irlande du Nord. A l’instar de beaucoup d’autres protagonistes de ses films, les soldats font l’expérience d’un état d’aliénation profond se trouvant dans un espace géographique, mental et émotif limité. De même l’intérêt de Clarke pour la crise sociale en Grande-Bretagne se prolonge dans Elephant qui, selon Michael Walsh, peut ainsi être considéré comme « a study of basic urban textures, the region’s deindustrialisation. » (10) Le film présente des hommes (tués) au travail, des lieux de travail et des lieux de travail désaffectés. Il reproduit une iconographie de la société industrielle à la fin du XXe siècle qui, tout en restant allusive, sert à placer l’action dans un cadre social plus large. « As a terminus for Britain’s social reality, Elephant also offers a last word on the focalisation of that tradition around depictions of an industrial working class. » (11)