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  Alan Clarke (c) D.R.
Traitant de la guerre en Irlande du Nord sans livrer de clefs, Clarke fait des constats. Il parle du conflit sans donner aucune explication politique, sociale, économique ou religieuse. La représentation d’un quotidien meurtrier absorbe les significations idéologiques afin de les rendre inefficaces. Elephant recrée le sentiment décrit par Bernard Mc Laverty (12) que les Troubles sont omniprésents et que l’on ne peut pas les ignorer ou les éviter ; les Troubles sont aussi visibles qu’un éléphant dans une salle de séjour. Clarke reprend cette idée en présentant un espace-temps où la violence est à l’ordre du jour. La structure de répétition où les crimes sont commis jour et nuit dans les lieux du quotidien par des gens communs vêtus de manière ordinaire concourt à cette idée. Selon cette vision, la dualité politique ami/ennemi est devenu inopérante. L’activité centrale de la guerre - tuer - est mise au premier plan, mais sa structure formelle de compétition est détruite. Le changement de scènes diurnes et nocturnes dans Elephant met en lumière le caractère incessant des activités meurtrières. Le bruit de la circulation qui accompagne les meurtres continue pendant que le générique de la fin se déroule. Au bout de la dix-huitième séquence, l’exécution d’un assassin par un autre assassin clôt le cycle meurtrier en apparence seulement. Car le film sous-entend que le cycle de la violence est aussi incessant que la circulation routière.

À certains égards, Contact et Elephant perpétuent une vision très répandue sur l’Irlande du Nord qui affirme que « Northern Ireland continues to be conceived almost exclusively in terms of Troubles. » (13) Cette tendance se réfère à des images culturelles et artistiques plus anciennes :

« The images of the Irish constructed by the British cinema did not emerge newly-born but drew on a reservoir of ideas and images inherited from earlier historical periods. The associations of the Irish with violence had already enjoyed an extended career (...). » (14)

Scrum (c) D.R.
Elephant reproduit la vision officielle du conflit vu de la métropole afin de la mettre en question :

« Elephant’s power is derived from the ability to recreate what Livingstone (through Sue Friday in We’ll Support You Evermore - 15) claimed was the general response of the British public to the violence in Northern Ireland, namely, boredom, apathy, indifference, and desensitization – in short, psychological withdrawal. It also effectively conveys the popular impression of the violence as uniform, self-destructive, and having no discernible cause or purpose. In this regard, the play could be said to reproduce the official view of the conflict and to typify the treatment of the subject by the media. » (16)

L’absurdité règne sur les films de Clarke, comme si elle était le seul sentiment pour appréhender la guerre en Irlande du Nord, une guerre qui est renvoyée au domaine de l’incompréhensible, du non-explicable. Cependant, en ayant recours à des stratégies d’auto-réflexion critique, le metteur en scène inscrit le spectateur dans l’espace filmique et fait de la perception du conflit une figure sous-jacente au discours de ses deux films. En dévoilant le fonctionnement  de la violence, Clarke aborde également les mécanismes de sa représentation. La valorisation de la violence en tant que thème primordial rappelle les représentations habituelles de la télévision de même que les structures narratives des deux films, reposant sur la répétition, évoquent les schémas de la représentation connus de ce médium. Sans imiter les images du petit écran, les films de Clarke impliquent une réflexion sur leur perception en sous-entendant l’omniprésence de ces images et l’impossibilité de détourner le regard à chaque fois. La pratique même de la télévision s’inscrit dans un réseau de familiarisation (17) permettant d’avoir des images aussi violentes à l’heure du dîner.