Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
  Made in Britain (c) D.R.
La télévision impose la répétition qui, elle-même, engendre la monotonie. À force d’être répétée, la violence s’intègre dans l’expérience quotidienne et débouche sur la banalisation. Les origines du « problème » en Irlande du Nord se perdent dans un flux incessant d’images afin de devenir floues et méconnaissables. L’Histoire et les faits historiques cèdent à un sentiment d’une violence omniprésente et interminable de cercle infernal. Contact et surtout Elephant rappellent comment la télévision participe à un discours social et idéologique sur la situation en Irlande du Nord et comment elle influence son appréhension symbolique et sa compréhension. Mettant en lumière les mécanismes abrutissants de la télévision, ils forcent le spectateur à regarder de très près, pour qu’il puisse saisir toutes les nuances et les variations très fines investies par la mise en scène et le jeu des acteurs. Dans Contact, il y a encore quelques moments de tendresse, des gestes bien que minimes qui réussissent à exprimer que les personnages sont encore vivants : le soulagement qui éclaire le visage du commandant pour quelques instants ; cet autre moment où il demande à l’un des soldats s’il va bien. Dans Elephant, la boucherie se transforme en une structure géométrique d’une grande beauté plastique. Après chaque meurtre, Clarke crée des plans savamment composés et éclairés d’un espace fantasmagorique qui frôle l’abstraction. La beauté et la mort sont complices. L’approche réaliste rencontre un effort de stylisation évidente qui contrecarre les effets du réalisme et souligne qu’il s’agit d’une oeuvre de fiction. La dimension auto-réfléchissante que ces deux films et d’autres films de Clarke affichent en rendant ouvertes les techniques du cinéma crée en même temps une distance formelle par rapport aux personnages. Le changement constant entre l’action et l’inaction, l’attachement et le détachement a un effet troublant. Il est renforcé par la caméra portée qui entraîne inévitablement le regard, attachant le spectateur aux personnages et le contraignant à les suivre du regard. Mettant l’accent sur l’action physique et le mouvement, de sorte que le physique devient palpable, Contact et Elephant créent un climat de forte tension qui crève l’écran et s’empare du spectateur. Celui-ci peut être infecté par l’ambiance d’angoisse et d’oppression qui lui fait ressentir l’énergie des personnages, envahit l’écran et se prolonge dans le hors-cadre. L’identification est ici plutôt orientée vers la situation que vers les personnages. Clarke dépeint la faille d’un système social et politique à travers des états affectifs et visuels tangibles qui permettent de saisir l’impact émotif de la violence en Irlande du Nord (18). Dans Made in Britain ou dans Road, Clarke saisit l’extraordinaire énergie des déshérités et leur humour grinçant dans l’ambiance de la banalité et de la futilité. L’humour noir infiltre Elephant qui présente l’apogée de la dérision. Suivant les pensées de Bernard McLaverty, Clarke dépeint comment on peut, au bout d’années, s’habituer à la présence troublante du conflit inévitable et même se réconcilier avec cette situation (19). En faisant ainsi, le metteur en scène crée un climat davantage troublant qui fait surgir la dimension psychosociale du conflit. Par l’immersion de la monstruosité dans un quotidien où la violence est omniprésente, Elephant rappelle notamment ce « théâtre noir de l’absurdité » qui est parfois transformé en théâtre de la cruauté comme l’évoque Brian McIlroy en parlant de ses expériences à Belfast durant les années soixante-dix (20). Dans Elephant, Clarke explore l’état mental et psychique en Irlande du Nord de manière subtile en en faisant une lecture sous-jacente. De même, en affichant les visions habituelles de la question irlandaise, l’attitude auto-réfléchissante investie par Clarke les examine afin de les mettre en question et de les dénoncer comme Jennifer C. Cornell le souligne à juste titre. Elle interprète le film comme un témoignage de l’insuffisance (21) de la réponse générale faite à ce conflit. Elephant confronte le spectateur avec sa propre position ambiguë située quelque part entre le voyeurisme et l’indifférence. Ce qui conduit à une introspection des spectateurs qui se découvrent les consommateurs d’images d’un conflit réduit au format du petit écran. Clarke ne livre aucune clef et ne propose aucune solution. En provoquant le spectateur, il le force à se poser des questions, et même à interroger ses opinions. Au moins, il le met dans une position peu confortable (22). En montrant comment les mobiles qui animent cette guerre se perdent dans un cycle d’images de la violence sans fin, Contact et Elephant matérialisent l’oubli, l’indifférence et le refoulement qui inspirent la perception du conflit. De cette façon, ils lui accordent une signification qui ne réduit plus l’Irlande du Nord à un espace national isolé, tourmenté et étrange, le terrain de l’autre par excellence, mais réintègre les Troubles dans le contexte de la société britannique. Le no man’s land déshumanisé se transforme en paysage-signe d’une importance toute nouvelle (23).




Acheter ce livre ou DVD sur le site : Fnac
Acheter ce livre ou DVD sur le site : PriceMinister
Acheter ce livre ou DVD sur le site : Amazon
Acheter ce livre ou DVD sur le site : Librairie Lis-Voir