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LES SURVIVANTS

Jim Jarmusch se plaît à montrer, au moyen souvent de si caractéristiques travellings latéraux, des mondes marqués par une certaine décrépitude, une certaine morbidité. Sans épiloguer sur les plus évidents - le monde post-atomique de Permanent Vacation, et le far-west squelettique de Dead Man, tous deux étant des univers de boue, de ruines, et de désolation -, il y a dans ses choix et descriptions de milieux réels un goût pour les villes froides et tristes, comme Cleveland dans Stranger than Paradise ou Helsinki dans Night on Earth, pour les éléments funèbres, comme le cimetière sur lequel s’ouvre Down by Law ou comme le fantôme d’Elvis (Mystery Train). Parce qu’il tourne souvent la nuit, ou l’hiver, il montre des espaces désolés dans lesquels les personnages errent, solitaires, silencieux. Parce que ces personnages voyagent, ils côtoient des espaces impersonnels comme les motels, les gares, les taxis, les cafés, parfois les prisons.
Jim Jarmush (c) D.R.

Et pourtant, tout n’est pas perdu. En effet, c’est dans ces espaces morts que naît la vie, ou plutôt, devrais-je dire, que malgré tout, elle subsiste. Les personnages de Jarmusch, à l’égal du héros de Permanent Vacation, sont des survivants. Survivre, cela se traduit par le fait de fumer des cigarettes, de ne jamais cesser d’en fumer. Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Revenons à Coffee and cigarettes. Dans leur café, Iggy et Tom ne font pas que fumer. Ils discutent, ou plutôt, ils se disputent. Comme deux gamins prétentieux, ils se chamaillent pour faire avouer à l’autre qu’il est moins bon musicien. Cela peut sembler futile, mais c’est ce qui plaît à Jarmusch, pour la même raison que sa famille est, plus encore que le cinéma, le monde du rock, célébré avec nostalgie dans Mystery Train, et qui, à travers Tom Waits, Iggy Pop, John Lurie ,ou Neil Young, a partie prenante dans ses films. Les rockers fument, se disputent : ce sont de grands enfants, ou des adolescents attardés, si l’on veut. De ce point de vue, tous les personnages de Jarmusch ont l’esprit « rock » : ils ne manquent pas une occasion de s’asticoter pour un rien, mais c’est aussi un moyen de remplir l’espace mort qu’ils occupent. Ainsi, dans Stranger than Paradise, quand les personnages sont seuls, ils sont systématiquement rejetés à une extrémité du cadre, et il faut attendre l’entrée d’un ou de deux personnages pour que l’équilibre de la composition soit rétabli, et l’espace rempli, humanisé. Une étude plus longue aurait, à ce propos, montré comment Jarmusch compose ses espaces et ses cadrages en fonction des formations humaines dont il décrit le devenir : solo, qui se transforme par le fait d’une rencontre en duo, qui très souvent se prolonge (ce qui est plus rare au cinéma) en trio, plus propice aux disputes par le jeu des alliances que cette forme propose (Willie, Eddie et Eva dans Stranger than Paradise ; Jack, Zack et Roberto dans Down by Law; Will, Johnny et Charlie dans Mystery Train ; Helmut, Yo-Yo et Angela dans Night on Earth; les trois tueurs à gages dans Dead Man - mais là, on va, à l’inverse des autres films, du trio au solo, puisque Cole Wilson, le plus terrible d’entre eux, tue ses partenaires - ).