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Trajets

Struggle (c) D.R.
Dans Struggle, les trajets et les véhicules (voitures, camions, etc) ont une grande importance. Travailler, c’est se déplacer, et le mode de déplacement traduit une place dans les hiérarchie du travail. Les travailleurs clandestins voyagent dans le meilleur des cas en bus (pour aller cueillir des fraises dans les grandes plantations), en camion (comme du bétail que l’on transporte avec à peine plus d’égards d’un lieu de travail à l’autre) ou alors dans les voitures des riches lorsque ceux-ci s’arrêtent sur le bord des routes pour choisir leurs « employés » d’un jour qui iront faire le ménage ou briquer la piscine. Pour tous ces véhicules, il faut des routes et même le plus souvent des autoroutes que l’on passe des heures à parcourir dès lors que l’on travaille. Comme ces trajets quotidiens sont ennuyeux – à l’image de ce travail et de cette vie – il est une pâle consolation : les autoradios. Les chansons anglo-saxonnes des autoradios sont les seules musiques que l’on entend dans le film. Elles surgissent brutalement interrompant de leurs mélodies sirupeuses le bruit des machines ou des pleurs.

De trajets en trajets, se dessinent de manière dynamique – et non pas narrative -, les trajectoires des personnages, leurs mouvements. Le film est ainsi perçu non comme une totalité régie par des lois dramaturgiques mais comme une succession remarquablement alerte et élégante de mouvements qui ensemble forment une vibrante pulsation. Ewa et sa fille sont en constants déplacements et le film matérialise d’une manière incroyablement sensible, presque tactile, chacun d’entre eux. Cette question du mouvement se décline d’ailleurs à l’intérieur même des plans et s’avère être l’enjeu essentiel du film. Ewa est contrainte de se soumettre à des rythmes que l’on impose à son corps de l’extérieur : le rythme de la cueillette, celui très envahissant de la chaîne d’abattage de poulets où les volatiles dépecés, pendus par les pieds, arrivent sans fin devant elle à un rythme régulier et morbide, mécanique. L’ensemble de la séquence est remarquablement conçu pour créer ce sentiment d’autonomie absurde de la chaîne où l’inanimé dirige et contrôle l’humain. Emballage et nettoyage sont encore des mouvements imposés, mais la scène qui marque l’apogée de ce dressage du corps d’Ewa est celle du peep-show : là encore, on exige d’elle un rythme absurde, mécanique, inhumain, plus que jamais tourné vers le bénéfice immédiat d’un tiers. A la fin du film, a peine libérée des contraintes pesant sur son corps, Ewa doit se plier à un rythme nouveau, le rythme ultime, aboutissement logique des autres, celui de la consommation dans le grand centre commercial – de manière significative, on la retrouve à genoux en train d’essayer plusieurs modèles de chaussures pour sa fille. Le corps de Marold est lui aussi discrètement soumis à des rythmes qu’il ne contrôle pas mais de manière moins brutale et triviale car c’est un homme aisé. Il déambule toute la journée entre des couloirs déserts et le siège de sa voiture ; aucun de ses mouvements n’a de sens, mais au moins peut-il conserver l’illusion d’en être le maître.