A l'opposé de ce somnifère, les frères Coen livrent
cette année
The Man Who Was'nt There, un opus élégant
qui certes ne possède pas la verve sardonique de leurs belle
époque, mais atteint à une certaine perfection cinématographique.
Le projet ne s'inscrit pas ici dans l'ironie pure, mais dans
un savoureux laconisme lassé qui touche son personnage principal.
L'épure de film noir trouve une grâce formaliste dans sa photo
noir et blanc aux accents datés et joue avec l'énonciation classique
pour enchâsser les strates de temps et fragmenter les temporalités.
Tantôt lent, tantôt rapide, parfois figé, parfois élidé, le
montage des Coen est un long scratch au sourire pincé, à l'
underplaying
savoureux qui exhibe son intrigue spiraleuse pour camoufler
sa subversion politico-sociale. L'avocat matérialiste y est
l'exact contrepoint du héros, lorsque ce dernier éprouve avec
douleur la vanité de la vie, plongeant en plein dans le Samsara
bouddhiste. Vision douce-amère car aussi cruelle que drôle d'un
genre qui n'a plus cours, signée d'une griffe presque trop virtuose
pour réserver une assez grande place à la création surprenante.
Faut-il regretter la maestria des Coen ou au contraire saluer
cette perfection par un prix de la mise en scène un peu consensuel
?
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Même classicisme glacé et
verni pour The Pledge que Sean Penn a voulu d'une
étrange facture hypnotique. Jack Nicholson en policier retraité
cristallise sur une affaire qu'il est le seul à considérer,
pourtant avec raison, comme non-classée. Franchement anti-efficace,
la narration nonchalante (elle se termine sur un non-lieu)
du film traîne son élégance non intrigante et privilégie
l'évolution d'un homme,sa trajectoire vers la folie. Film
policier sans rebondissement réel ni énigme alambiquée,
The Pledge n'est, comme l'était The Crossing Guard,
qu'une ambulation obsessive informe et classieuse qui se
démarque de la majorité des productions américaines actuelles.
Tout comme se démarque violemment le pervers David Lynch
en redonnant un coup de non-sensisme savoureusement exceptionnel
à son oeuvre.
Après le sublime mais émotionnant A Straight Story,
Lynch refait un Lost Highway au pays des vertiges
et de la schizophrénie sans limites. Mais ce n'est qu'un
festival de judicieuses fausses pistes. Le cinéaste débute
son film par un récit de deux histoires en parallèle, avec
énigme policière à la clé... Quoi de plus normal pour le
spectateur de procéder à la reconstruction mentale requise
et de croire à l'énonciation donnée ? Seulement, le film
bifurque bientôt vers un jeu de miroir où les personnages
amnésiques sont finalement dédoublés et où plus rien n'a
d'autre sens que de créer une nouvelle piste et de perdre
le spectateur... Et les incultes de continuer à chercher
un sens jusqu'à l'écoeurement et la sentence : arf ! c'est
nul, disent-ils. Inutile d'avoir son interprétation, Mulholland
Drive n'est qu'une spirale onirique sans fond, qui fomente
vicieusement la perte de chacun et donne sa clé surnaturelle
dans le prologue, sachant pertinemment que personne n'est
encore prêt à la recevoir. C'est encore une délicieuse randonnée
au pays des espaces mentaux colorés, sensuels, inquiétants,
où les miroirs vous regardent. Ex-aequo avec les frères
Coen pour le prix de la mise en scène, Lynch paraît moins
reposé et plus énergique dans sa création.