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  Objectif Cinéma (c) D.R.

Tout comme le vieux cinéaste français dont la vivacité d'esprit s'exhibe avec une force incroyable: Jacques Rivette et son Va savoir enchantent les belles lettres et ramènent le cinéma à ses origines littéraires et théâtrales. Traitant du comédien et de l'espace scénique, des allers-retours entre les deux arts, Rivette met constamment en abyme une pièce de Pirandello (!) et use et dépasse les codes qui régissent les arts du spectacle. Son scénario ne cesse d'emprunter aux deux, de les faire évoluer en parallèle avant de rassembler, dans un somptueux et brillant dernier acte, tous ses personnages dans une même scène, celle d'un théâtre. L'astuce se fait plus intelligente puisqu'il évite ici d'abuser des représentations. Drôle et ludique, ce Va savoir aurait peut-être mérité de subtiliser le prix du meilleur scénario au No Man's Land de Denis Tanovic, qui a la réputation d'être trop écrit, au sens étouffant du terme.

Autre prouesse scénaristique, celle de Shrek, excellent film d'animation qui éclate les clichés avec une singulière jouissance. Tout en jouant la même carte subversive que la précédente production Dreamworks, Fourmiz, ce nouveau film quitte le canevas classique épuisant qui en faisait une banalité. Une princesse chante avec un rossignol; lorsque cette dernière monte dans les aigus, le rossignol la suit et... explose. Cette volonté d'épouser une déviance in-extremis s'applique à toute l'oeuvre, y compris sa féroce satire du fascisme, devenue intolérance anti-conte de fées. La parabole ainsi déconnectée est bien plus efficace que celle de Fourmiz, qui se contentait d'une transposition du macrocosme humain au microcosme d'une fourmilière, n'échappant pas à une certaine sclérose sans subtilité. Pour en finir avec le palmarès (les mystères de la programmation festivalière m'ont fait raté trois fois de suite La Pianiste de Michael Haneke, qui a gagné rien moins que les deux prix d'interprétation et le prix du jury...), il convient de saluer l'extraordinaire Chambre du fils de Nanni Moretti, Palme d'or 2001. Le cinéaste italien délaisse sa veine narcisso-autobiographique pour une fiction traditionnelle, presque sans singularité qui puise une force inestimable dans son montage. D'abord anodin, le film met en place la solidité paisible d'un foyer. La tranquillité installée est brusquement démolie par un drame tragique qu'une alternance de scènes courtes distille à merveille. Organisée en diptyque (avant et après la mort du fils), la narration travaille le temps, sans cesse supplié de s'arrêter pour mieux revenir. La tragédie est mise en parallèle avec différents niveaux métaphoriques qui la voisinent : sport, mythologie et psychanalyse mettent en perspective la mésaventure humaine. Mais puisque la vie continue, il faut un dénouement. Et c'est avec la gorge serrée par la beauté humaine que l'on quitte au bord de l'eau des parents rassérénés et fatigués d'avoir pleuré. Nous avec.

Objectif Cinéma (c) D.R.

Hors compétition, il est à signaler la présence magistrale d'une version allongée du Apocalypse Now de Coppola. Qui n'a pas vu ce chef-d'oeuvre sur un écran géant dans une salle bondée manque véritablement une grande expérience de cinéma. Rien n'est mort dans la grandiloquence des images, le chant de la bande-son et tout ce qui a été battu et rebattu pendant 20 ans. Les ajouts sont de deux natures : de multiples petits segments parsèment les transitions et ornent les larges épisodes, tandis qu'un épisode entier est introduit. A vocation très nettement discursive, cette scène fleuve présente le problème vietnamien depuis le point de vue français. La portée politique donne de l'épaisseur au film, mais pose un problème insoluble à la mise en scène de Coppola : comment filmer une demi-heure de discussion autour d'une table alors que le reste de son film est une parade formaliste débridée ? On comprend aisément le choix qui avait été fait originellement de couper cette séquence pour des raisons de rythme, même si le statut de l'œuvre justifie toutes ses versions.