Mais cette maîtrise
formelle ne verse pas pour autant dans l'exercice de style
gratuit : Leloup a quelque chose à dire. On notera
que le sujet de Des Anges rencontre un écho
assez fort dans l'actualité et ose s'attaquer à
un tabou : la violence des mineurs ou même des enfants
(les fameux " sauvageons"). Tabou d'abord publicitaire : l'enfant,
dont on utilise l'image pour vendre n'importe quoi, est forcément
mignon et innocent, pour ne pas dire mièvre. Si ce
film est indéniablement dérangeant (de là
quelques sifflets lors de la remise du prix), cela tient aussi
au renversement de cette image. Par ailleurs, le film enfreint
une base du pacte narratif en bloquant le processus identificatoire
: on part de personnages a priori attachants, avec lesquels
on a envie de sympathiser, qui deviennent petit à petit
antipathiques et imposent une distance, voire un rejet.
Au final, un bel objet de
cinéma, une formidable aptitude à filmer l'action
(ce qui n'est pas toujours fréquent dans le cinéma
français). Un film coup de poing qui atteint son but
: nous ébranler et nous pousser à nous interroger
sur notre propre relation à la violence.
Pour le reste, dans la
catégorie fiction traditionnelle, signalons deux films
au thème assez voisin : l'évocation d'un personnage
handicapé, marginal, exclus. Simon de Régis
Roinsard et Pointête de Luc Gallissaire. Dans
le premier, il s'agit d'un handicapé moteur, dans le
second, un simple d'esprit, qui n'en fait qu'à sa tête.
Ils ont en commun d'être dans leur monde, à l'écart
de la société, et de s'inventer des fictions
ou des rêves, de se créer un monde pour vivre.
Les deux films sont empreints d'une vraie sensibilité
dans le portrait de leurs personnages et proposent des scènes
assez fortes (la descente d'une route en pente sur un fauteuil
roulant dans Simon). Dans le registre comédie
sociale, Mi-temps de Mathias Gokalp se distingue tout
en nous laissant sur notre faim. On y retrouve la pétulante
Julie Durand (prix d'interprétation et présente
également dans Le grand soir) et Valérie
Mairesse dans un rôle de composition. L'histoire de
deux caissières dans un supermarché : autant
l'une, jeune étudiante qui attend le résultat
de ses examens, est fougueuse et agitée, autant l'autre,
plus âgée, est austère et taciturne, limite
pète-sec. La seconde ne semble guère porter
la première dans son cœur. Mais elle est plus généreuse
et plus engagée qu'elle en a l'air : un scénario
malin avec une bonne chute, un brin démago dans son
message social, desservi par une mise en scène un peu
plate.
Dans le programme régional,
où l'on pouvait revoir le multi-primé Ce
vieux rêve qui bouge, il faut dire un mot du très
beau et très personnel Mes Insomnies de Valérie
Gaudissart, qui dégage un charme très particulier,
comme un parfum ou un air de musique, quelque chose de fragile
et d'évanescent. Une jeune femme, quittée par
son amant, Michel, se livre à une sorte de divagation
thématique sur les routes de France : elle se rend
dans des villes ou villages qui comportent le nom de Michel.
C'est la mise en scène elle même qui se fait
divagation poétique, suivant un chemin sinueux et imprévu,
voguant d'une idée à l'autre, d'une scène
à l'autre. Voici l'exemple même d'un poème
cinématographique, qui, tel des vers, contient des
scènes très belles et troublantes (la jeune
femme qui caresse la tête des voyageurs dans un wagon
de train).
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