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FILMS D’ENFANCE

El Bola (c) D.R.

L'enfance justement est au cœur de beaucoup de films récents en Espagne. Souvent une enfance perdue, bafouée, humiliée. Comme si l'Espagne, ce grand pays vieillissant, craignait pour sa jeunesse, s'inquiétait pour ses rêves de liberté. Deux films particulièrement réussis, présentés en compétition, expriment ce sentiment de perdition de l'enfance et de l'adolescence. El Bola de Achero Manas, film ambitieux par son sujet plus que par son traitement, raconte l'amitié entre deux jeunes garçons, dont l'un se fait battre par son père. Film sur la maltraitance, mais surtout film sur l'amitié, El Bola évite les pires clichés propre à ce type de sujet. Essentiellement parce que la caméra n'est jamais intrusive, et ce même lors de la scène où le père de Pablo (joué par un excellent Alberto Jimenez en tyran familial) s'acharne sur son fils (le petit Juan José Ballesta non moins excellent). Pas de complaisance dans cette violence insupportable, tenue à distance par un filmage réaliste, exempt de pathos ou de point de vue sur-déterminé. El otro Barrio (l'autre monde) de Salvador Garcia Ruiz, autre film sur l'adolescence, est lui aussi plein de violence : violences symboliques de la société sur les jeunes, de la cellule familiale, violence des sentiments et de la misère sociale. Ramon Fortuna, 15 ans, est accusé de meurtre à la suite d'accidents malheureux dont il est l'involontaire auteur. Son avocat vient du même quartier que lui, un quartier populaire qu'il a quitté pour oublier une enfance qu'il a détestée. Les deux personnages vont se retrouver autour de l'absence du père, des douleurs de l'enfance, de la non-reconnaissance au sein de la famille. Le film laisse un sentiment poignant de vague nostalgie. D'une grande maîtrise, d'une élégance rare de mise en scène, il fait vivre ses personnages avec tendresse et leur donne une grande force allégorique : Marcelo, l'avocat, vit sans vivre, à côté d'un passé qu'il a voulu nier et qui resurgit avec ce jeune garçon perdu, plutôt victime que coupable, représentant toute la vacuité d'une adolescence qui à l'orée de son envol dans l'avenir d'une vie d'adulte, ne voit que le vide et la rudesse d'une société mortifère. Malgré ses baisses de tensions dramatiques, le film développe un récit crédible, tenu par un filmage souvent inspiré. Une des bonnes surprises du festival.

Si ces films présentent des atouts réels tant du point de vue de leurs récits que de leur réalisation, ils restent assez conventionnels du point de vue du langage cinématographique. Peu de jeunes réalisateurs se risquent à une démarche rompant avec les habitudes narratives et le terrain de l'expérimentation est peu occupé. Deux films s'y risquent, bien qu'ils restent tout à fait lisibles, voire classiques par certains aspects. Le premier, Pau et son frère de Marc Recha qui fut en sélection officielle au précédent festival de Cannes, est singulier dans sa démarche poético-naturaliste. Le récit de deuil, très pudique, fait se retrouver les personnages autour de l'absence d'un frère, fils ou amant, et se réconcilier à la vie et à la force sauvage de la nature. La caméra reste à l'épaule, décrivant des rondes dansantes autour des corps des comédiens, souvent proche des visages. Les paysages de la Catalogne, oscillant entre inquiétude et douceur, sont captés avec intensité et délivrent leur mystère sombre. Par son esthétique très pure, sa force païenne et tellurique, son cheminement narratif dolent, comme un rêve brumeux dans l'œil du spectateur, ce film constitue une des plus indépendantes démarches cinématographiques de ces derniers temps (faisant irrémédiablement penser à celle de Claire Denis en France).

  Prix de la biennale (c) D.R.

Le second film, Nomadas de Gonzalo Lopez-Gallego, qui reçut à la fois le Prix du Jury Jeune et le Prix du Jury, engage une esthétique tout aussi singulière. Le Jury voulut sans doute en lui décernant son prix, récompenser une démarche formelle audacieuse dans une sélection de compétition qui en manquait certes cruellement. De plus, pour une première œuvre, le film présente des qualités de filmage indéniables. Il s'agit d'une lente dérive de quatre personnages autistiques dans un monde glacé. L'image est belle ; dès le début elle nous saisit par son grain post-moderne à la Cronenberg (le garage d'Alex, le mécano autiste qui assassine ceux qu'il doit dépanner, ressemble étrangement au garage de Willem Defoe dans ExistenZ). Garage vide, intérieurs vides (mais stylisés), visages hagards derrière des pare-brise mouchetés de pluie où se reflètent de phares, etc. Lopez-Gallago sait créer un climat, utiliser toutes les ressources du cinéma, son, lumières, montage, sait installer une durée, a deux ou trois bonnes idées. Malheureusement ça ne suffit pas de savoir filmer, encore faut-il savoir quoi filmer. Au bout de quinze (très bonnes) minutes on comprend vite dans quoi le film sombre : une insupportable suite de clichés, de scènes grotesques où tout nous est surligné, comme si le plan ne se suffisait pas à lui-même ; non, il faut en rajouter, et vas-y que j'envoie la musique à fond quand l'autiste dépanneur dézingue un type à coup de clé de 20, et vas-y que je fais s'acharner un autre autiste sur le dépanneur pendant trois plombes (mais attention, j'utilise le hors champs, histoire de montrer que je connais mes classiques) ; l'autiste dépanneur a une passion pour le lait telle, qu'une bouteille vide le met dans des transes folles (le jeune Manuel Sanchez Ramos n'a malheureusement pas eu la sobriété comme indication de jeu) ; aussi lorsqu'il se fait tabasser, il se voit nageant en position fœtale dans une mare de lait. Sara, son alter ego féminin, aussi autiste que lui, se verra violer à l'arrière d'une voiture. Mais là, sa chaste main viendra dans un geste définitif boucher l'objectif de la caméra (sic). Après le tabassage en règle qu'on a du supporter juste avant, c'est un peu fort. La coupe est pleine lorsque le pauvre Alex rescapé, gesticule dans sa salle de bains en hurlant sur du Beethoven (qu'est-il arrivé au réalisateur ? Vient-il de voir Orange Mécanique ?) Devant de tels plans, les bras nous en tombent. Ce jeune réalisateur, sans doute élevé au lait de Lynch et Cronenberg, nous fait surtout penser au pire Carax. Qu'il se recentre, et ça ira mieux.