LES " CARTES
BLANCHES "
Les
" cartes blanches " aux festivals et diffuseurs
est une des initiatives les plus fécondes des Rencontres.
Elles permettent la découverte de conceptions diverses
du travail d’un festival, et offrent la possibilité
de voir ou revoir des œuvres pas toujours accessibles.
PRODUCTION-DISTRIBUTION
Ainsi, avec les sélections
offertes aux mythiques sociétés Lardux et
Mikros, ce sont quelques-unes des grande " dates "
du court-métrage contemporain et de l’emploi du numérique
qui étaient présentés à Lille.
On a pu revoir dans la sélection Lardux, Le
Puits de Jerome Boulbes (1999), et son opus suivant, La
Mort de Tau (2001). Mais Lardux se distingue
cependant, plus que par ses " blockbusters "
de l’animation de synthèse, par une esthétique
de la récupération et un usage du mélange
prise de vue réelle / pixillation qui font merveille
dans Pit Parker contres l’Araignée de Kram Keyob
(1994), ou encore les Escarpins Sauvages des frères
Poiraud (1995), sans doute le film le plus remarquable de
la sélection. Le mélange de prises de vue réelle
et d’animation image par image, réalisé de telle
sorte qu’il est difficile de distinguer l'un de l'autre, confère
à ce conte macabre " Junk Art ",
évoquant Guy Maddin dans son travail de réactivation
de l’esthétique du cinéma muet, une réelle
qualité cauchemardesque.
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Quant à Mikros,
sa place au sein de l’histoire de la vidéo numérique
n’est plus à prouver, avec des films comme Le Cirque
Conférence de Marc Caro (1989), l’Escamoteur
de Eve Ramboz (1991) réalisé à partir
de fragments d’œuvres de Jérôme Bosch, et Cité
Antérieure : Bruges de Christian Boustani
(1995); la cohérence miraculeuse atteinte dans leur
emploi du collage et de l’incrustation, surprend encore aujourd’hui.
Alors que les questions sur le numérique s’apaisent
simultanément à la généralisation
de son usage, ces films-phares survivent à leur réputation.
Mikros, qui est avant tout une société
d’effets spéciaux numériques, a peu produit,
et pour cause. Comme l’expliquait au public lillois Alain
Bonassie, directeur artistique venu présenter la sélection,
chaque projet se développe d’abord en interne, autour
du désir de film de ses collaborateurs ; l’apport
de Mikros est alors humain et technique, en donnant
accès aux machines et en aidant à la finalisation
des films. Dès lors, dans cette indépendance
financière, la liberté de création n’était
limitée, dit Alain Bonassie, que par la créativité
du cinéaste. Cette indépendance marquait les
films présentés.
Avec les " Cartes
Blanches " offertes aux sociétés de
distribution Light Cone (Paris) et Heure Exquise !
(Nord). Les Rencontres affirmaient leur volonté
de s’ouvrir à toutes les formes de la vidéo.
Ces structures militantes se caractérisant par la conjonction
des activités de distribution et de diffusion, développent
ainsi un circuit de valorisation du cinéma expérimental
autonome et nomade.
La " Carte Blanche "
à Light Cone présenta des films extraits
de la programmation " monter sampler "
mise en place au Centre Pompidou en 2001. Élaborée
sur la notion d’appropriation, elle donna à voir des
démarches nouant l’intime et l’Histoire pour mieux
les interroger conjointement (Still Life, Yann Beauvais,
1997, Pirated !, de Nguyen Tan Hoang, 2001), et
des œuvres plus spécifiquement fondées sur le
détournement d’images et un discours critique à
l’égard de la télévision - et sans doute
plus accessible à un public novice (Magia En El
Aire, de J. Leandre et T. Serra, 1999, The Artwork
in the Age of its Mechanical Reproductibility, de Keith
Sanborn, 1996, Broadcuts, de Sun Wu Kung, 2000).
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Venu présenter
sa sélection, et participer à une rencontre
autour de l’art vidéo, Yann Beauvais, cinéaste,
cofondateur de Light Cone et programmateur (les " Scratch
Projections ") répondit avec patience et
finesse aux questions d’un public un peu abasourdi par la
découverte de ces images. Mais une question posée
par une spectatrice resta en suspens : pourquoi avoir
ajouté à sa programmation En mémoire
de Rosa Luxemburg ? Ce film, où la lecture
d’une lettre de Rosa à une amie, dans laquelle elle
écrit pouvoir préférer les oiseaux aux
hommes, se superpose à des images muettes de frondaisons
enneigées, déploie une tonalité complexe,
partageant le spectateur entre l’étonnement à
l’écoute de l’aveu, et l’engourdissement induit par
le ressassement de l’image. En mémoire de Rosa Luxemburg
apparaît comme un memento mori adressé
aux idéaux révolutionnaires, dégageant
une tristesse profonde.
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