Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     



 

 

 

 

 

Carambolimages (c) D.R.
En tant que journaliste de cinéma faisant partie du " jury professionnel de l’image ", j’avais à exercer ma vigilance critique afin d’élire les réalisations (essentiellement des courts-métrages) entreprises par des groupes d’enfants au sein de la structure Régie Môme. Chantal Dubreuil, coordinatrice de cette association Loi 1901 d’éducation à l’image, est une petite femme brune à nattes d’écolière. Elle semble mener cette aventure avec une douceur exemplaire. Elle ordonne à chaque séance un curieux rituel : le silence cinéma. Une salle comble d’enfants (parfois 400) sages et mutiques. Comment ne pas désirer secrètement, dans le noir, que ce silence impressionnant soit déstabilisé par un événement… Il arrivera par l’écran, cette tache blanche, béance où convergent toutes les impatiences enfantines. Le cinéma peut commencer. Mais justement, lequel ? Celui des enfants ou des adultes ? Ce mardi 11 juin 2002, la séance se déroule au Centre Culturel de Chécy, à l’espace Georges Sand. C’est un immense et superbe paquebot blanc, bordé de pelouses calibrées, et où la campagne d’Orléans prend des allures de ville nouvelle. La salle est formée de trois groupes hétérogènes : les enfants spectateurs issus des différentes classes de la région mais aussi des centres de loisirs, la classe Carambolimages 2002 issue de l’école Jacques Prévert ( cher enfant cancre…) de Saint-Jean de Braye, et les adultes professeurs, animateurs et jury professionnel. Trois régimes de visibilités différents pour une même séance.

Une question taraudait tous les adultes (les membres du jury et les spectateurs adultes) : est-ce vraiment un film d’enfant, entièrement fait par eux ? La virginité du geste enfantin prenait dès lors une valeur hautement prépondérante, elle signifiait l’enfant comme garant de la véracité de son geste. La trace de l’intervenant extérieur (le professionnel) s’estimait comme une tache suspecte, voire une tare et un handicap pour l’élection du film au rang de film d’enfant. Il y a dans cette conception naïve et perverse (l’adulte…) une double erreur : celle de considérer l’enfant comme un être doué magiquement de grâce et de perfection alors qu’il est en devenir, imparfait et limité dans ses savoirs et pratiques. En outre, c’est une forme de déni de la position de l’adulte dans son rôle propre, celui de compagnon d’un geste particulier (en l’occurrence faire un film), afin que s’effectue un réel apprentissage abouti. Or, l’erreur, le tâtonnement et la fragilité inhérents à tout enfant ne sont pas réellement pris en compte, ou du moins considérés à l’aune d’une " bêtise " de l’enfance, celle naturaliste qui fait de l’adulte celui qui compatit. Mais justement, je n’avais pas à compatir complaisamment des grimaces et singeries mais à relever ce qui découlait de ce contrat tacite qui liait l’enfant à Carambolimages : " donner aux enfants de 4 à 20 ans les moyens de réaliser et de mettre en images tout ce qui leur paraît important et intéressant ".

  Carambolimages (c) D.R.
Les 14 réalisations présentées cette année furent nommées et annoncées sous deux formes cinématographiques distinctes : le film d’animation et la fiction. Il y a toujours une violence, intrinsèque, de la dénomination, or elle semble parfois symptomatique d’un malaise ; comme ce fut le cas de cette exception faite pour le clip sur Henri Dès, présenté comme " une adaptation ". Comment recevoir et comprendre le court-métrage La dame et le quincaillier lui aussi montrée comme une fiction (école Baunécole) si ce n’est comme un travail d’adaptation figée où l’humour repose essentiellement sur le texte d’Alphonse Allais ? Deux types de récits engageaient l’imaginaire des enfants : le fantastique et le récit d’amour. Tous deux se déclinaient en des variantes et figures esthétiques typées. Ainsi le fantastique relevait du récit d’horreur, où de sombres histoires de sorcières et de morts vivants occupaient tout le cadre narratif, jusqu’à la nausée parfois (Le sort de la salle 128, fiction d’une classe de CM1, Changement inattendu dans le récit 666 issus du Québec) Le fantastique, c’était aussi la jouissance de l’irréel de l’animation et où la poésie truculente s’affichait scatologique avec Les Zinzins ont faim (classe primaire de Saint de Braye). Ce court-métrage raconte l’histoire délirante d’un monde en papiers, où le royaume est victime d’une grave récession de matière première vitale : les crottes de nez. Le film, moins de trois minutes, allie sobriété du découpage et jeu des différents motifs mis en place (le plein, le vide, le noir, le blanc) au rythme d’une voix off enfantine impertinente. Nous sommes embrigadées dans " une aventure continue dans le temps, comme le rêve ( …) une quête orientée, polarisée vers une fin non connue, pressentie pourtant et fascinante.(1) " Il obtint la récompense méritée du prix du Jury Carambole 2002.