CHANG ET RINGO
LAM A L’HONNEUR
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Cinéaste prolifique,
personnalité complexe, Chang Cheh ne peut cependant
se réduire à une figure d’ " artiste
maudit ", imagerie d’Épinal (en partie vrai
cependant : l’homme connut une terrible " traversée
du désert " qui se solda par une tardive
réhabilitation, peu avant sa mort) masquant le rôle
capital joué par le cinéaste dans les évolutions
des genres fondateurs du cinéma hong kongais, le Kung-fu
et le Wu Xia Pian. Surtout connu du public au travers des
déclarations d’un John Woo auto-proclamé son
" héritier ", Chang Cheh, à
la différence de cinéastes maverick (Peckinpah,
Corbucci…) auxquels il est souvent comparé, ne travailla
jamais contre le système, mais contribua au contraire
à l’exacerbation de ses caractéristiques les
plus fondamentales. Outre qu’il fut l’instigateur d’une starification
" à l’hollywoodienne " des artistes
martiaux, en tant que découvreur de talents le
plus perspicace de la péninsule (de Ti Lung à
Chan Kuan Tai, toutes les stars des 70s sont passées
par lui), il est sans doute avec King Hu l’un des grands inventeurs
de formes du cinéma HK. La renommée du cinéaste
dans nos contrées remonte d’ailleurs aux origines de
la distribution en France du cinéma HK, puisque La
Rage du Tigre son film le plus célèbre,
sorti en été 1973, fut parmi les premiers succès
public et critique du " film de karaté ".
Ainsi, au moins deux des films présentés dans
le cadre de la rétrospective furent à l’origine
d’une rénovation complète des genres en vigueur.
Il s’agit de The One Armed Swordman (1967) pour le
Wu Xia Pian, qui introduisit dans le contexte traditionaliste
du genre, des éléments inspirés du chambara
japonais, et Blood Brothers (1973) pour le Kung-fu,
premier d’une longue série de " Shaolin Movies "
(en réponse au cataclysme Bruce Lee, rénovation
de l’ancien contre le nouveau) dont Liu Chia Liang se fera
par la suite le maître incontesté avec La
36e Chambre de Shaolin (1975).
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Qualifié peut-être
un peu vite de " romantiques ", les films
de Chang Cheh dans leurs traits les plus évidents (la
violence outrancière, une sur-virilité et un
sens du tragique toujours à la limite de l’auto-parodie,
la substitution de la vengeance à toute forme de posture
morale) apparaissent plutôt comme des territoires profondément
ludiques, où la permutation des valeurs et des codes
se rejouera d’année en année avec une sécheresse
de plus en plus hystérique. Animée par une sensibilité
fondamentalement mélodramatique, son œuvre consistera
à débusquer, derrière les rouages des
codes d’honneur, les affects les plus inattendus. Finalement
avare en chefs d’œuvres (pas plus d’une dizaine), la filmographie
de Chang Cheh s’offre ainsi comme l’une des visions les plus
lucides des mécanismes à l’œuvre dans le cinéma
populaire, instrumentalisant des pulsions forcément
régressives, toujours sexuelles (masochisme, asexuation,
homophilie). De The Magnificent Trio (1966) à
The Crippled Avengers (1978), c’est donc une petite
dizaine de films de Chang Cheh, du chef d’œuvre à l’objet
de curiosité, qui seront donnés à voir
à la Cinémathèque. Tous sont représentatifs
des évolutions d’une filmographie totalisant plus de
90 titres et se déployant de la fin des années
60 jusqu’au milieu des années 80, et en tant que tels,
appellent à une attention particulière.
Les choix opérés pour représenter un
cinéma hong kongais toujours vivace malgré les
successions d’actes de décès prononcés
depuis la rétrocession et la " fuite des
cerveaux " qu’elle occura, mettent à l’honneur
des œuvres qui, même encore ouvertes, se distinguent
par leur cohérence. On regrettera cependant le parti
pris de privilégier des " auteurs "
au lieu de genres (pas de comédies, aucun exemple du
renouveau pléthorique du Wu Xia Pian dans les années
90).
Ainsi, ce sont les cinéastes
et producteurs Johnny To et Ringo Lam qui nous donneront des
nouvelles d’un cinéma toujours actif. Le travail de
Johnny To, rapidement intronisé dernier espoir du cinéma
hong kongais, fait déjà l’objet de maints textes
et articles, en ces pages mêmes. Mais rendez-vous est
pris pour une étude des inédits qui s’égrèneront
au fil des semaines à venir, à commencer par
The Longest Nite (1998) de Patrick Yau, polar ultra-violent
et film noir de pure souche.
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