À dériver au gré
des projections, que le fossé existant entre la production
critique sur Ulmer et leur pertinence ne cessa de s’élargir.
Il n’est que de parcourir le très beau livre édité
par le festival (en collaboration avec Yellow Now) et réunissant
un panorama d’études critiques sur " l’œuvre ",
pour y découvrir des interprétations contradictoires,
s’annulant parfois mutuellement. Ulmer apparaît ainsi
comme guidé tour à tour par une vision du monde
profondément pessimiste, voire nihiliste (Belton, Lourcelles),
où les parcours humains se voient broyés par un
destin absurde, ou selon Tag Gallagher, par une posture morale
intransigeante où le destin n’est qu’un camouflet justifiant
de mauvais choix. Si ces études se révèlent
passionnantes, elles peinent à distinguer une intention
globale dans une filmographie où les contingences de
toutes sortes influèrent sans aucun doute grandement
l’investissement ponctuel du cinéaste. La " monumentalisation "
d’Ulmer doit s’opérer avec prudence, tant ce qui s’écrit
sur son travail est transposable à nombre de petits maîtres
du cinéma de genre.
Les films d’Ulmer
doivent dès lors se goûter " en deçà "
de son auteurisation, dans l’espoir simple de percevoir quelques
brillances, parfois un trait de génie, dans des productions
intrinsèquement monotones, où l’intention artistique
opère nécessairement sur le détail :
heureusement chacun de ses films recèle en son sein
quelques séquences admirables, arrachées à
la glu des standards. S’il y a lien, il se trouve peut-être
dans l’amertume vis-à-vis des stéréotypes
obligés suintants de chaque image, et qui font osciller
ses films entre reconduction expédiée du déjà-vu
et bouffée géniale.
Il n’est que de donner l’exemple de Blue Beard (1944),
variation morne (et non, cette tonalité n’est pas du
ressort du génie du cinéaste…) sur le thème
du tueur de femmes, aux croisements de Double Assassinat
dans la rue Morgue (pour son décor parisien) et
du Fantôme de l’Opéra (pour le thème
de l’artiste maudit). Et surgit dans la grisaille une séquence
de théâtre de marionnettes, enlevé sur
le thème du Faust de Boccioni. Le metteur en
scène étrangleur, derrière son rideau,
observe celle qui sera sa future proie, au côté
de celle qu’il croit aimer. Le " don "
de Marguerite à Faust s’opère en parallèle,
sur la scène : dans la surveillance des deux femmes
se jouent leur destin, le motif faustien se répète
en soustraction des brillances mythiques. Délibérément
expressionniste et silencieuse, opérant par un système
de caches à peine diégétisés.
Cette séquence déploie, dans un mouvement d’amplification
presque symphonique, une intelligence lucide de la pulsion.
Outre la rétrospective consacrée à Edgar
G. Ulmer, la manifestation amiénoise remplit d’aise
les flâneurs avec la mise à l’honneur du studio
mexicain Churubusco, et le mini-hommage rendu au mystérieux
Curtis Harrington.
CHURUBUSCO
La section, amenée
espérons-le à perdurer, consacrée aux
studios du monde entier invitait cette année Churubusco,
mythique studio de Mexico City. Comme toutes les " usines
à rêves ", Churubusco fut le lieu
de toutes les démesures : des flamboyants mélodrames
des 40s aux œuvres académiques de Emilio Fernandez,
des westerns crépusculaires de Peckinpah au monument
kitsch Dune.
De la sélection, touffue, trois films problématisaient
parfaitement l’ambition de cette nouvelle section du festival
d’Amiens : inventer de nouvelles approches pour l’histoire
du cinéma.
Deuxième d’une courte série consacrée
à un Vampiro mexicain par Fernando Mendez,
El ataud del vampiro est un joyeux capharnaüm
où s’entrechoquent les topos du genre. Appliquant
une loi des séries pour le moins brutale, les personnages
principaux du premier épisode sont décimés
au tiers du film, pour laisser la place à de nouveaux
- et pâles - héros. Bien que présenté
dans une copie 16mm extrêmement médiocre, le
travail porté sur la lumière est de premier
ordre, travaillant des contrastes brutaux qui trouvent leur
quintessence dans une séquence de poursuite nocturne
où une jeune actrice subit les assauts du comte vampire.
La Féline n’est pas loin dans l’emploi expressif
des ombres portées. Truffé de citations de
bon goût, Ataud del vampiro se déroule
dans des espaces - hôpital, music-hall - encore peu
explorés par le cinéma fantastique de cette
époque. Le film de Mendez est en cela proche des
tentatives modernistes du fantastique européen (I
Vampiri de Riccardo Freda notamment), voire les précède
(le film est de 1957, Les yeux sans visage de Franju
de 1959) jouant astucieusement du tournage en studio
pour mieux explorer la théâtralité inhérente
aux mythes fantastiques.