|
|
|
|
Dans un tout autre
registre, L’Aventurera de Alberto Gout (1949) crée
un genre qui fera florès : le film de cabaret,
où s’illustrèrent par la suite des stars comme
Dolorès del Rio. Déroulant à un rythme
infernal une cascade de coups de théâtre et de
situations feuilletonesques, L’Aventurera est un film
si improbable qu’on hésiterait presque à croire
l’avoir réellement vu, tant il tient du rêve
de cinéphile fait film, dont le souvenir se voile de
larmes de bonheur devant tant de pure satisfaction des sens.
Entre mélodrame superflamboyant et comédie musicale
à l’érotisme cru, L’Aventurera ne cesse
d’ouvrir ses plateaux de music-hall sur des décors
gigantesques, où chaque élément de décor
se fait écrin pour la beauté canaille
de Ninon Sevilla. D’autre part, L’Aventurera se distingue
par son amoralité foncière, l’héroïne
pécheresse (et fière de l’être !)
s’en tirant avec les honneurs, et un mari richissime.
Adapté de la chronique éponyme de José
Revueltas, El Apando (1975) dépeint la maturation
d’une mutinerie dans une prison mexicaine, et sa répression
démesurément violente. Doté d’une construction
alambiquée, alternant scènes de mitard et flash-back
discontinu suggérant l’inexorable de la violence, El
Apando peine à faire oublier son origine littéraire.
Le film dégage ainsi, malgré ses astuces de
construction, l’impression étrange d’avoir été
réalisé dans les 40s, tant la platitude du découpage
s’avère anachronique. C’est dans le détail sordide
que El Apando se distingue, le film n’étant
en effet jamais avare d’idées frôlant - voire
explosant - l’obscénité. L’étonnement
fait même place à la stupéfaction devant
l’outrance naïve dont est capable Felipe Cazals son cinéaste :
à cet égard, la fouille d’une amie d’un détenu
par une gardienne au lesbianisme visqueux constitue une des
images les plus étranges vues à ce festival,
de par l’intrusion inattendue d’un onirisme à la limite
du pornographique. El Apando évoque donc, malgré
son background " noble ", les plus corsées
des bandes d’exploitation des 70s, derniers bastions d’un
système hollywoodien dégradé. Son final,
très théâtral, anticipe par sa violence
sur les déferlements jodorowskiens (Santa Sangre,
El Topo) à venir…
HARRINGTON
|
|
|
|
Cinéaste rare,
Curtis Harrington était venu présenter son
dernier film : une adaptation de The Fall of the
House of Usher de Edgar Allan Poe.
Œuvrant tour à tour dans le cinéma expérimental
(il fut notamment un proche de Kenneth Anger, et ses premiers
opus se rattache à l’école underground new
yorkaise) et dans la production de série (il fut
un fidèle de l’écurie Corman), cinéaste
par là intrinsèquement à la marge du
cinéma américain, Curtis Harrington manifeste
dans son travail une obsession pour l’art fantastique des
origines : l’œuvre d’E.A. Poe compte ainsi dans ses
influences majeures, comme en témoigne son adaptation
raffinée de Usher. En cultivant un amour soigneusement
anachronique pour la littérature " noire "
dans ce qu’elle a de plus morbide et de finement douloureux,
Harrington a su en dégager l’essence. C’est du moins
le cas pour les deux films présenté à
Amiens, Nightide et Usher, son premier et
son dernier, oxymoriques par principe : œuvres précieuses
et ridicules, échevelées et délicates,
cultivées et vulgaires. " Maniéré "
est le mot.
Réalisé en 1961, Nightide est le premier
long-métrage de Harrington ; produit par la
New World Pictures de Corman, vendu comme un des nombreux
" melos paranoïaques " qui fleurissait
à la fin des années 50 (genre : " I
married a monster from outer space " : et
si l’être aimé était si autre que seule
la peur put advenir ? ), Nightide se révèle
une œuvre poétique d’une fraîcheur et d’une
humanité bouleversante. Récit d’un amour fou
entre un jeune marin et une sirène de foire, dans
le décor désertifié des baraques foraines
de Venice et Santa Monica (l’Amérique comme Luna
Park), Nightide parvient à maintenir un équilibre
constant entre l’étude amoureuse et le fantastique
le plus érudit. Au point que, plus qu’à Poe,
référence majeure pour Harrington, c’est dans
la lignée du Lovecraft du Cauchemar d’Innsmouth
que s’inscrit Nightide : les profondeurs de
l’état amoureux y voisine avec les fantasmes les
plus angoissants.