Un peu comme chez Morricone
en un sens, l’instrument musical semble ici pré-exister à
la mélodie et au leitmotiv. Et l’on reconnaît sans mal chez
Delerue son emploi infiniment tendre et légendaire de la harpe
(instrument qu’il utilisera aussi bien chez Jean-Luc Godard
que chez John Hughes). Et Oliver Stone d’évoquer (2)
la douceur extrême de Delerue comme son trait de caractère
principal. Delerue avait bel et bien un style personnel et
la « dimension intemporelle » de son oeuvre réside
en réalité là. Le style toujours plus fort que le temps.
L’orchestre du Capitole dirigé ici par Stéphane Cardon a délibérément
choisi la carte de la douceur, rendant ainsi bel hommage au
compositeur de Roubaix. Mais un hommage peut-être trop « doux »
parfois, notamment dans les scènes d’action du film, l’interprétation
manquant ici ou là de dynamisme, de « piqué », voire
de violence - que Delerue était justement et paradoxalement
capable de cultiver (et ce, à la grande surprise du même Oliver
Stone).
 |
|
|
|
Mais dans l’ensemble, le
public du Gaumont Wilson semble avoir bien réagi à ce film
et sa musique. Les quelques « bonus » d’effets sonores
(cloche et autres sons enregistrés dans un piano-synthétiseur
en direct) et le très beau silence d’une des scènes semblent
avoir fait forte impression sur la salle. La scène dans laquelle
un vieux violoniste est chahuté dans une taverne reste ainsi
un beau moment. Le violoniste dans le film devient le premier
violon sur scène, tous deux interprètent. Et quand le violoniste
dans le film est forcé de s’arrêter, c’est un silence mémorable
qui envahit toute la salle, et le visage lunaire et globuleux
de Casanova.
D’autres scènes dans Casanova mêlent ainsi les temps,
la musique de Delerue étant plus d’une fois diégétique (lors
de scènes filmant des musiciens). Des ponts temporels
sont créés aussi lorsque Delerue imagine une des scènes de
combat à l’épée, pizzicato. Sur scène, les doigts des
violonistes piquent leurs cordes, leurs archets en l’air comme
des épées. Et alors, on ne peut s’empêcher d’exécuter un va-et-vient
constant entre l’écran et la scène, les acteurs et les musiciens
dans l'action. Peut-être d’ailleurs un des intérêts majeurs
des Ciné-Concerts : cette union des temps, des espaces et
des corps.
|
 |
|
|
Restent deux problèmes
néanmoins. Le premier problème est soulevé par Philippe
Sarde lorsque celui-ci décline des invitations à écrire pour
des films muets. Sarde répond qu’il ne peut écrire une musique
de film s’il ne peut parler avec son cinéaste. Dans le cas
des films restaurés, les cinéastes sont généralement disparus.
Sarde évoque en tout cas une des essences-mêmes de la musique
de cinéma : le lien fondamental entre compositeur et
réalisateur. Comment pouvons-nous savoir si Volkoff aurait
apprécié voir son Casanova ainsi mis en musique (il
est mort en 1942) ?
|