SAMEDI 12 AVRIL
De la difficulté de parler de son
art
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Réveil paranoïaque. Encore
somnolent, votre narrateur est choqué par un détail. Les blocs
de papier quadrillé, outils indispensables pour tout journaliste
qui se respecte, ont disparu de l'étagère où ils avaient été
placés précédemment. Tentative désespérée de certains festivaliers
de dissimuler des informations top secret ou plus simplement
déplacement réalisé par une femme de ménage trop zélée ? La
vérité est moins rocambolesque. Après s'être ridiculisé en
interrogeant la direction de l'hôtel, votre narrateur retrouve
finalement les blocs, disparus dans une poche d'ordinaire
inutilisée de sa valise. Sans doute rangés là la veille au
soir dans un état neuronal plutôt faible, vu l'absence de
souvenirs que ce geste a suscité. Comme quoi à force de côtoyer
des scénaristes, on finit par se faire des films.
Du fait de ce petit évènement, il est trop tard pour se rendre
à la projection de L'enfant qui voulait être un ours
de Jannik Hastrup. Autant utiliser ce petit moment d'inactivité
pour découvrir La Ciotat. La petite ville portuaire est formée
de rues étroites. Elles gravissent à partir des quais la colline
qui surplombe le port selon un cheminement parallèle. Dans
ces minuscules artères règne une ambiance qui fait penser
au Maghreb. Tout comme les regroupements d'hommes âgés que
l'on observe le matin sur le port. Mais à certains carrefours,
l'on tombe sur une autre réalité. En forme d'affiches. Fond
bleu, lettres jaunes, le graphisme est connu. Le Front National
est très présent sur les murs de La Ciotat. Plus que n'importe
quel autre parti. Et surtout les affiches sont intactes, alors
qu'ailleurs elles auraient été déchirées et dégradées en un
temps record. Ici, l'extrémisme droitier semble donc faire
partie des meubles. Peut-être en raison d'une misère sociale
importante comme l'indique la stèle installée devant la mairie.
Elle précise que la première manifestation française de chômeurs
s'est déroulée à La Ciotat.
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Retour dans le cadre du
festival avec une rencontre consacrée à l'acteur Jacques Boudet
(figure récurrente du cinéma de Robert Guédiguian). Il raconte
sa relation personnelle avec le scénario. Même si pour lui
il ne doit pas être suivi à la lettre, ce n'est que la base
que le tournage va ensuite chambouler, il conseille aux scénaristes
de soigner au maximum leur texte. En particulier les dialogues,
“ car beaucoup écrivent en oubliant l'oralité ”. La
discussion est intéressante, mais Jacques Boudet reste un
peu à la surface des choses. Quand il évoque la capacité de
son ami Robert Guédiguian à puiser dans le réel pour créer
ses personnages, il est passionnant. Mais lorsqu'il décrit
sa manière d'aborder un scénario, il reste un peu évasif.
Peut-être pas très à l'aise dans ce type d'exercice explicatif.
C'est Bertrand Tavernier qui lui succède sur la scène du théâtre
du Golfe pour un exercice à peu près équivalent. Comme pour
la première rencontre, c'est Stéphane Foenikos qui joue le
rôle de l'intervieweur. Ce dernier s'en sort bien, mais pour
combler un blanc ou rebondir sur une tirade du réalisateur,
il utilise des expressions naïves, genre “ C'est une très
belle histoire ! ” ou “ C'est très intéressant ! ”
qui font sourire des auditeurs venus en nombre. Pendant deux
heures, Bertrand Tavernier raconte sa collaboration avec Jean
Aurenche, la genèse de ces films majeurs (L'horloger de
Saint-Paul, Coup de torchon, L 627, Capitaine
Conan...)... Comme trop de gens cultivés, il se laisse
aller aux citations d'hommes célèbres. Alors qu’il n’a besoin
d’aucune tutelle intellectuelle pour exprimer des idées passionnantes.
Mais une vraie sincérité émane de sa personne. Il a dû mal
à regarder le public en face, rougit un peu. Et de voir cet
homme au charisme impressionnant (il fait penser au Cyrano
de Rostand) aussi fragile, aussi artiste, donne une grandeur
supplémentaire au personnage.
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