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  Le Faucon maltais (c) D.R.

Le film de gangster dans sa grande décennie « classique » (les années 30) s’est épuisé à dramatiser le combat du Bien contre le Mal au sein des contradictions économiques, sociales et idéologiques de la Dépression et cède sa place au film noir. « Le film noir renonce à ce combat douteux et, jusqu’à certaines limites, présuppose l’ambivalence des valeurs -au bénéfice du mal (The Maltese Falcon de John Huston en 1941 est le premier film noir) ». Ce sont deux films de Raoul Walsh, The Roaring Twenties (1939) et High Sierra (1941), qui incarnent le mieux cette transition. The Roaring Twenties (programmé durant la journée dédiée à James Cagney) dresse le bilan du film criminel à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est plus vraiment « synchrone » (Ciment) avec les événements qu’il relate (il inaugure l’usage de la voix off qui deviendra la marque stylistique du film noir). Il annonce le crépuscule du gangster en récapitulant son histoire au miroir du cinéma. Pour Walsh, le gangster est devenu anachronique. Ce que l’on appelle « film noir » s’inscrit à bien des titres dans la continuité du film de gangsters des années 30.

Coppola, Brian De Palma, Cimino, Scorsese, revisitent les films de gangsters des années 30 en les modernisant (2).  Si pour Rico, Tony, Tom et les autres le succès est moins une affaire d’argent que de pouvoir, ce que signale le patronyme de Cagney dans The Public Enemy : « Powers », pour les wise guys de Goodfellas, tous tournent autour de l’argent et du pouvoir. Ils sont des affranchis dans le but de faire de l’argent. Cela permit à Scorsese de s’intéresser à la Mafia comme à un groupe social à part, ce qui fait de sa trilogie sur la pègre davantage une étude anthropologique que de véritables films criminels.

Goodfellas s’attache à décrypter leur mode de vie et leur approche non conventionnelle de chaque journée. Henry Hill (Ray Liotta) sort avec sa nouvelle petite amie au Copacabana. Ils évitent de faire la queue en passant par les cuisines et sont placés juste devant le chanteur, les chaises, la lampe et  la table apparaissent presque de façon magique, virevoltant au-dessus de la tête des clients. Dans toute cette scène, la caméra suit les deux protagonistes de l’entrée du club jusqu’à ce que Henry et Karen s’assoient à leur table.

Tueurs à gages (c) D.R.

C’est aussi la « confrontation entre «un innocent » et un univers avec ses règles, sa hiérarchie et ses rivalités » et  « souvent, cette rencontre ne va pas sans heurts, surtout quand l’appartenance au milieu signifie le don de soi et l’acceptation de pratiques et de comportements violents. C’est ce qu’apprennent à leurs dépens les héros de J’irai au Paradis car l’enfer est ici de Xavier Durringer, Tueurs à gages de Darejan Omirbaev, Made in Hong Kong de Fruit Chan ou encore de James Gray ». Howard Hawks affirmait : « To stay alive or die : this is our greatest drama» (3). La violence, élément essentiel du genre est, comme chez Scorsese, une conséquence de leurs statuts et agissements.  La violence y est omniprésente car ses personnages sont violents, cette pratique a des répercussions  irrémédiables sur leur vie.

Ce cinéma offre une explication saisissante de la vie de ces groupes organisés, dont les agissements sont intrinsèquement liés à la nature de la société, que ce soit dans la Mafia italienne, dans le crime organisé aux Etats-Unis ou chez les yakuzas japonais. Cette radioscopie des pratiques sociales d’une certaine frange de la population nous montre le gang comme une entreprise strictement structurée et hiérarchisée, et tout conduit à assimiler la représentation du criminel à celle d’un businessman, le lieu de travail quotidien du gangster est son bureau, comme pour les yakuzas où les entreprises sont de véritables firmes structurées ayant des activités criminelles. Ces institutions criminelles ont pour « domaine d’activité privilégié de la pègre, le trafic de drogue est au cœur du film de Steven Soderbergh : Traffic,  dans lequel il s’interroge sur la place de la drogue dans nos sociétés et nos vies, réussissant à cerner les différents aspects du problème, du circuit international des trafiquants à la guerre menée par les gouvernements, sans oublier la dépendance des consommateurs. »

Maurice Tourneur dans l’étonnant Justin de Marseille aborde ce thème avec un réalisme étonnant. Francesco Rosi filme Lucky Luciano, caïd de légende au destin exceptionnel, qui eut la main mise sur le trafic de drogue dans les années cinquante. L’argent, au cœur de la guerre, provoque des conflits où la hiérarchie du gang est contestée en permanence, comme dans Sonatine où Takeshi Kitano est envoyé pour résoudre un conflit entre des familles rivales.