Ses premières comédies tournées dans
l’immédiat après-guerre ne plurent pas au public qui les trouva
amorales et non sensibles – on doit notamment à Kawashima la
première scène de baisers du cinéma japonais en 1946. Peinant
à trouver son public, sa hiérarchie lui exprima son mécontentement
en le reléguant au rang d’assistant réalisateur. Kawashima est
donc contraint pour un temps de travailler dans l’ombre de ses
aînés (Shibuya, Kinoshita et Ozu). Mais si la Shôchiku le rétablit
bientôt dans ses prérogatives, c’est pour mieux le cantonner
dans la réalisation de comédies commerciales destinées à être
projetées dans les secondes parties de ses doubles-programmes.
Kawashima se refusant à faire une carrière de réalisateur de
second ordre, des divergences de vues se font jour avec sa direction.
Elles ne sont pas sans rappeler celles auxquelles sera confronté
quelques années plus tard Nagisa Oshima, le chef de file de
la nouvelle vague, avec la même Shôchiku. Kawashima entre « en
rébellion » (ce sont ses propres termes) et démissionne
pour rejoindre la société Nikkatsu en 1954, non sans avoir offert
à la Shôchiku, ironie du sort, un dernier film qui, cette fois,
sera un succès au box-office : « Entre hier et demain »
[kinô to ashita no aida], l’histoire d’un jeune battant de l’après-guerre
incarné par Kôji Tsuruta, une adaptation d’un roman de Yasushi
Inoue.
Ce n’est donc qu’à partir de 1954, en signant avec la Nikkatsu,
que Kawashima parvient à faire reconnaître son talent. Les studios
de la Nikkatsu qui n’avaient plus fonctionné depuis la guerre
allaient imposer un style nouveau préfigurant la nouvelle vague
(1956 « Passions juvéniles » de Kô Nakahira). Libéré
du carcan académique et commercial de la Shôchiku, Kawashima
peut enfin donner à ses comédies une tournure plus personnelle
et signer le premier grand succès de sa carrière, co-scénarisé
avec Imamura : Ai no onimotsu [Le poids de l’amour]
(1955) satire sociale mettant en scène un ministre de la Santé
proclamant la limitation des naissances pendant que les membres
de sa famille forniquent sans vergogne. Grâce à la collaboration
de plus en plus féconde des deux hommes, Imamura ayant même
un certain ascendant sur son maître, Kawashima va donner à sa
peinture des mœurs de l’après-guerre une tonalité plus grave,
plus philosophique aussi, sans chercher pourtant à se placer
en témoin critique de son temps comme l’aurait souhaité Imamura.
Résolument attaché à l’esthétique du « monde flottant »
propre à la culture d’Edo qu’il affectionne, Kawashima refusera
toujours l’approche naturaliste d’Imamura. Malgré cette divergence
de fond, Kawashima tournera à la Nikkatsu les deux meilleurs
films de sa carrière : Suzaki paradaisu-akashingo
[Le paradis de Suzaki] (1956) du nom d’un quartier de prostitution
de Tokyo, escale illusoire de femmes en errance, et Bakumatsu
taiyoden [Chronique du soleil à la fin d’Edo]. Ce dernier
film, une comédie burlesque située dans une maison close où
se retrouvent marchands, artisans et samouraïs dans les derniers
jours du Shogunat des Tokugawa, est une des rares adaptations
réussies au cinéma d’une histoire de rakugo. Cet art
théâtral comique populaire se caractérise par la prouesse du
comédien à jouer seul tous les personnages de ses sketchs. Kawashima
a su en capter l’esprit et le transposer au cinéma. Les cinéastes
qui s’essayèrent avant lui à cette prouesse échouèrent car ils
éparpillaient l’effet comique en donnant de l’importance à tous
les personnages de l’intrigue. Kawashima, quant à lui, focalise
son scénario sur un personnage central autour duquel gravitent
des histoires singulières grâce à une composition de l’espace
qui lui est propre et que l’on retrouve dans tous ses films.