LES
INTERMITTENTS SE SONT INVITES
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Première manifestation culturelle de grande
ampleur de l’été 2003, Paris Cinéma n’a pas échappé à l’ire
d’une majorité des intermittents du spectacle, en colère contre
le protocole d’accord signé quelques jours plus tôt avant
l’ouverture de la manifestation (le 26 juin) entre le Medef
et trois syndicats minoritaires du secteur. Selon eux, cet
accord, s’il est appliqué, renforcera la précarité de leurs
conditions de travail puisqu’il diminue le temps imparti pour
réaliser leurs fameuses 507 heures annuelles de travail, en
réduisant parallèlement leur durée d’indemnisation. Lors de
la soirée d’ouverture de Paris Cinéma au Grand Rex, le 1er
juillet dernier, des intermittents sont montés sur scène pour
exprimer leur désarroi. Une dizaine de réalisateurs présents
à leurs côtés se sont interrogés : devaient-ils retirer
leurs films de la manifestation ? La soirée, voire la
manifestation, devaient-elles avoir lieu ? On pensa alors
inévitablement au festival de Cannes de mai 1968, au début
duquel Godard, Polanski, Truffaut, Louis Malle étaient montés
au créneau (et aux rideaux !) pour que le festival soit
(finalement) annulé. En juillet 2003, nous avions en ordre
de bataille, Agnès Varda qui en appela au peuple
(les spectateurs) pour savoir si elle devait projeter son
court-métrage Le lion volatil (un court-métrage de
dix minutes très décevant), Philippe Le Guay, qui sans aucun
état d’âme, souhaita projeter son film en avant-première (pour
les membres de l’équipe qui sont dans la salle, dira-t-il
pour se justifier) et l’impayable réalisateur Pascal Thomas,
dont la tentative de putsch contre Marie-Pierre Macia sonna
alors ce soir-là comme un mauvais remake (président de la
SRF, il l’avait licencié sans véritable raison de la direction
de la quinzaine des réalisateurs un an plus tôt) et non comme
une revendication sincère.
Autres temps, autres mœurs. Les manifestations ont continué
en marge de Paris Cinéma ou au cours d’autres séances un peu
agitées (Jeanne Moreau esquivant une agression au studio 28…),
et peu de cinéastes ont en définitive retiré leur film, hormis
Solveig Anspach, qui sacrifia son avant-première de Stormy
Weather pour un débat trop bref mais assez passionnant,
où les intervenants manifestèrent une véritable crainte pour
l’avenir du cinéma français.
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La soirée d’ouverture de Paris Cinéma fut
aussi le théâtre d’une mauvaise pièce où se mêlèrent l’hypocrisie
et la démagogie des responsables politiques. Alors que Bertrand
Delanoë se lançait dans une ode convaincante aux intermittents
(qui s’était d’ailleurs traduite en actes quelques jours plus
tôt, puisque la mairie de Paris avait permis à la coordination
des intermittents d’Ile de France l’occupation du gymnase
Olympe-de-Gouges), Christophe Girard, maire adjoint à
la culture, monta sur scène après la projection du Coût
de la vie pour annoncer avec la mine de circonstance,
qu’ « en raison des événements de la soirée » et
« par solidarité avec les intermittents », le cocktail
prévu à l’hôtel de ville était annulé. Or, il était plutôt
question d’écarter « nos amis les intermittents »
des agapes, qui eurent bien lieu en toute discrétion et sans
le moindre scrupule. Autrement dit, les intermittents du spectacle
sont bien gentils, mais faudrait voir à ne pas trop gâcher
la fête non plus…
C’est finalement en substance ce que pensait le sémillant
Pierre Tchernia lors de la soirée d’ouverture des Rencontres
Internationales de Cinéma au Forum des Images : alors
que Christophe Girard cherchait en vain à l’horizon de la
salle une poignée d’intermittents pour leur annoncer une bonne
nouvelle (la tenue d’un débat sur l’intermittence dans le
cadre de Paris Cinéma) notre éternel Monsieur Cinéma répondit
avec bonhomie à Bulle Ogier, qui venait de souscrire aux revendications
des intermittents du spectacle : « C’est un bel
hommage que vous rendez à vos amis ! ». Bref,
tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil dans
la « grande famille du cinéma ». On évacue les
problèmes, on est tous potes, bref c’est formidable.
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