The Last Movie, Dennis
Hopper
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Un cascadeur ahuri, interprété
par Hopper lui-même, décide de s’installer dans le village
d’Amérique Latine où se tint un tournage de western (réalisé
par Samuel Fuller, Hopper a vu Pierrot le Fou) sur
lequel il a travaillé, au côté d’une belle native. Mais rapidement,
son conditionnement culturel reprend le dessus. Après avoir
rencontré des bourgeois américains en vacances, il s’achemine
alors vers l’auto-destruction, tandis que le village où il
s’est installé, bouleversé par la découverte du cinéma et
de sa violence, se lance dans une reconstitution rituelle
du film, sans simulation, et dont la victime sacrifiée sera,
bien sûr, notre candide cascadeur.
En tout bien tout honneur, débutons par ce film d’acteur pour
une bonne part dévoué à sa propre gloire (même sous l’angle
de l’autocritique). Pour les lecteurs de l’anecdotique mais
délassante chronique Le Nouvel Hollywood de Peter Biskind,
la vision de The Last Movie tenait en quelque sorte
du pèlerinage : deuxième film d’un Denis Hopper empli
de la fureur mystique de son propre génie, après l’inattendue
Palme d’Or décernée à Easy Rider, The Last Movie
fut un échec critique et public terrible, de ceux dont un
cinéaste ne se remet pas. 10 ans avant Les Portes du Paradis,
The Last Movie anticipait déjà la chute d’une génération
nouvelle de cinéastes américains formés à la double influence
du classicisme hollywodien et de la modernité européenne.
C’est donc avec une certaine appréhension que fut accueilli
ce film dont on put dire en son temps qu’il portait bien son
nom (puisque ceux qui l’avaient commis n’en réaliseraient
assurément plus aucun).
A l’heure des interactions entre formes classiques et emprunts
au domaine du non-narratif (par exemple les travaux de Philippe
Grandrieux, ou plus modestement de Gaspard Noé lui-même),
le spectateur contemporain peut certes s’y retrouver dans
ce film aux coutures grossières, littéralement informe au
sens où le montage projeté à l’Etrange Festival s’offrait
de toute évidence comme une possibilité extraite d’une masse
labyrinthique d’images. S’inscrivant dans la mouvance des
« films-épilogue » typique du nouvel Hollywoood,
où le réel historique n’est plus que l’ombre portée du mythe,
The Last Movie se perçoit confusément comme une métaphore
sur les ravages de la colonisation culturelle américaine,
lisible entre le mince fil qui se déroule au cours des 2h30
de projection : les pièces narratives étant largement
entrecoupées de séquences de nature morte, de chanson, de
prises de vue documentaires sur la vie quotidienne d’un village
péruvien, de confrontations cauchemardesques entre personnages
totalement secondaires à l’intrigue… Si l’on ajoute que les
comédiens improvisent visiblement, donnant à voir la confrontation
du jeu minaudant de Hopper et les bouffonneries d’un Thomas
Milian improbable en prêtre sévère mais juste, on aura qu’une
très faible idée de l’état abasourdi du spectateur égaré devant
cette expression de l’ambition démesurée de Hopper de réaliser
l’opus magnus de la modernité cinématographique..
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…Et l’étendue de son échec
En effet, emporté par son désir de rassembler les extrêmes,
les caractéristiques d’une certaine modernité européenne œuvrant
à l’évaporation de la frontière tournage - plateau, et les
maniérismes d’un cinéma hollywoodien finissant (The Last
Movie convoque avec insistance des motifs mélancoliques
extraits de l’œuvre de Sam Peckinpah pour donner forme à son
chaos) , Hopper égare son film, incapable de se détacher
de ses influences, et comme condamné à en répéter les aspérités,
désormais insignifiantes dans leur redondance.
Conscient cependant, malgré l’épuisement hallucinogène dans
lequel on imagine s’être déroulé le montage de The Last
Movie (cf. Biskind, encore), Hopper retrouve dans l’ultime
séquence l’humilité nécessaire pour demander humblement (c’est-à-dire :
en ayant recours à une situation fictionnelle) le pardon ( !)
à son spectateur, et tirer sa révérence déguisé en chercheur
d’or. Mine de rien, cet épilogue comique sonne comme la profession
de foi de ce qui fut le Nouvel Hollywood, qui crut trouver
de l’or avec comme guide le cinéma des maîtres.
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