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Eloy de la Iglesia

Eloy de la Iglesia (c) D.R.

Il aura fallu attendre sept ans pour que cet hommage voit le jour, nous fut-il répété avant chacun des films du cinéaste espagnol. A les voir, l’hommage rendu s’impose comme une évidence, tant certaines de ses œuvres participent pleinement d’un cinéma des années 70-80, parallèle à la modernité cinématographique identifiée, et qu’il devient urgent de redécouvrir afin de dépasser la fixation « bis » et ses déviances psychotroniques. « Modernes » par leur sujet, soucieux de l’actualité de leurs temps, les films de Iglesia appartiennent à cette catégorie d’œuvres « inclassables » qui parsemèrent les années 70 : elles s’inscrivent a priori dans la continuité d’une écriture classique, mais en en exacerbant ses composantes majeures, notablement l’identification du spectateur à la réalité diégétique, et l’identification au personnage. Le travail sur des réalités interlopes, marginales, ou plus globalement closes sur elles, constitue leur champ d’action, là peut s’y développer ce qui constitue le point d’incandescence de ces œuvres éparses : l’irréductible corps classique. Cria Cuervos de Carlos Saura, quelques Polanski (Répulsion), La raison du plus fort de R.W. Fassbinder, pour ne citer qu’eux, invente une nouvelle manière d’en passer par un corps d’acteur pour exprimer les bouleversements du réel.

Auteur d’une poignée de films incandescents, brûlant d’une même passion érotique et politique, Eloy de la Iglesia apparaît comme une exception dans le contexte d’un cinéma espagnol ou cinéma « d’auteurs » et de genre ne se mélange pas. De La semaine d’un assassin à L’Enfer de la Drogue, c’est à une plongée dans le dérèglement du corps qui ne se refusent jamais le recours à l’image spectaculaire que nous invite ce cinéaste encore méconnu. De son travail, nous nous attarderons sur quelques films.

  La Semaine d'un assassin (c) D.R.

Tout d’abord La Semaine d’un Assassin (La Semana del Asesino, 1972) s’offre en pendant masculin et prolétaire de Répulsion. En effet si les sources d’aliénation sont différentes, les conséquences sont identiques : le basculement psychotique et le meurtre, dès lors qu’un événement imprévu bouscule l’équilibre précaire d’un quotidien routinier. Faisant preuve d’une grande minutie dans la description du détail sordide, La Semaine (…) pêche cependant lourdement par des invraisemblances grossières de scénario. C’est surtout dans la mise en place d’un amour impossible entre le tueur ouvrier et un bel écrivain homosexuel que Iglesia emporte l’adhésion du spectateur, parvenant à dépasser l’énormité de son propos (psychopathe et homosexuel, même combat face à l’oppression) par un sentimentalisme rendu possible par l’écrin d’ordure qui l’enchâsse.

L’Enfer de la drogue (titre d’importation on ne peut plus « bis » pour rebaptiser ce sobre El Pico) fut le plus gros succès public de Iglesia, et engendra une suite ( El Pico 2 , n’est-ce pas). Réalisé en 1983, El Pico s’attache à la dérive de deux adolescents drogués, qui les conduira à l’irrémédiable du meurtre. La finesse de El Pico réside dans l’absence d’explication du basculement dans la drogue de ces deux jeunes garçons d’un milieu aisé, entourés de parents aimants et attentifs. La drogue fait partie de leur univers, au même titre que les repas de famille et les sorties entre amis. Dès lors, et bien que des explications possibles soient dégagées (un père trop possessif, des mauvaises fréquentations), c’est en choisissant de s’en tenir à une sorte d’évidence du caractère vital de l’addiction que Iglesia souligne le dérèglement d’une jeunesse abandonnée à la laideur du monde. El Pico est proche en cela d’un film comme Spetters de Paul Verhoeven, lui aussi fasciné par la marginalité forcée de jeunes aux désirs désordonnés. En comparaison de son collègue néerlandais, Iglesia perd en puissance épique ce qu’il gagne dans la description sans pathos d’un processus inexorable de décomposition : celle d’une société patriarcale trop occupée à ses propres combats, sans comprendre pour autant ses héritiers. Avec une roublardise qui explique peut-être le succès populaire du film, c’est en se penchant sur le cas du fils de gendarme que Iglesia met à nu avec une justesse émouvante la qualité si particulière de l’amour paternel, ce serpent de mer du cinéma.  El Pico se clôt dès lors naturellement sur un renoncement, celui du père, dans la séquence la plus poignante vue à ce festival.