Mardi
7 octobre
Quand le visuel s'affiche
La poisse est un mal insidieux.
Le matin, au moment du réveil, aucun signe précurseur ne vous
signale que vous allez en être victime. Le début de cet automnal
mardi qui devait mener à l'ouverture du Festival d'Aubagne
paraissait ainsi on ne peut plus tranquille. Pas de peau de
banane mal placée, pas de signalisations défectueuses dans
le métro, bref rien qui ne puisse susciter un quelconque retard.
Et d'ailleurs le débarquement avec armes - stylos, ordinateur
portable et appareil photo argentique - et bagages dans le
hall principal de la Gare de Lyon se fera avec une jolie avance
d'une vingtaine de minutes sur l'heure de départ du TGV direction
Marseille.
Mais c'était écrit, la chance ne devait plus durer bien longtemps.
À peine le temps de poser à terre valise et autres sacs de
voyage pour soulager des épaules en souffrance, à peine le
temps d'admirer les reflets étranges de la lumière blafarde
d'un jour de pluie sur les TGV stationnés le long des voies,
à peine le temps de remarquer combien une gare est un lieu
cinématographique par excellence ( imaginez toutes les histoires
qu'on peut et qu'on y a raconté : une séparation amoureusement
douloureuse sur un quai, une course-poursuite à la De Palma
dans Carlito's way, une description des marginaux qui
s'y retrouvent comme le fait le cinéaste Siegfried, etc ),
qu'un bruit trouble le quasi silence d'un espace encore peu
peuplé.
Il s'agit du panneau d'affichage
qui s'affole dans un jeu mécanique familier des habitués du
transport ferroviaire. À peu près en son milieu, les panonceaux
inscrivant le numéro des voies tournent à toute vitesse et
indiquent en cœur “ retard de 30 min ”. Forcément,
l'effet boule-de-neige se poursuit et atteint la ligne correspondant
au train qui devait normalement conduire une bonne centaine
de passagers, dont un journaliste ciné, à Marseille. Retard
de trente minutes. Quelques secondes auparavant, la cité phocéenne
semblait devoir être atteinte dans un tout petit peu plus
de trois heures. Désormais, elle paraît beaucoup plus lointaine.
Installation lente dans le TGV, puisque de toute façon le
train n'est pas prêt de partir. Dernier feuilletage du très
dense dossier de presse de cette 4e édition du Festival d'Aubagne.
Puis, commence la litanie des interventions du vocus ex machina,
de ce pauvre contrôleur chargé de rassurer des usagers très
facilement irritables quand il s'agit de SNCF. Et oui, le
transporteur ferroviaire public a bien souvent l'image d'une
entreprise de fainéants. D'ailleurs, ce retard ne manque de
réveiller les réflexes poujado-madelinistes : “ C'est
toujours pareil avec la SNCF, on devrait privatiser tout cela
! ” Dérives verbales accentuées après la quatorzième
allocution radio-diffusée du contrôleur de faction qui précisait
qu'étant donné que “ l'incident est indépendant de
notre volonté, nous vous signalons que nous ne rembourserons
pas les billets ”. “ C'est jamais de leur
faute ”, s'écrie alors un cinquantenaire cravaté
de près, aussitôt conforté dans sa saillie par trois autres
compères.
Mais, pour le coup, difficile
de jeter la pierre à la SNCF. Les retards résultaient en
effet d'un “ accident grave de voyageur ” comme
on dit dans ce milieu. Une jeune femme de 20 ans a traversé
la voie et s'est fait happer par un convoi qui circulait
par là. D'ailleurs, en passant, il n'y a pas de mort intelligente,
mais il y en a des particulièrement connes. Parce que passer
l'arme à gauche pour avoir couper à travers voie, afin de
ne pas louper son RER, on trouve mieux comme épilogue. Malgré
ces données qui enlèvent toute responsabilité à la Société
nationale des chemins de fer français, les râleurs persistent
et signent. Mais alors, pourquoi ces révoltés du transport
restent-ils muets quand survient un accident ou un bouchon
qui bloque pendant des heures la circulation ? Pourquoi
les sociétés d'autoroute n'en sont-elles pas tenues responsables
? La rationalité critique se noie dans un libéralisme bon
teint.
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