Malheureusement, l'option consistant
à dormir jusqu'à exaspération de la direction de l'hôtel n'est
guère envisageable. Le TGV direction Gare de Lyon n'attendra
pas les lève-tard et partira, quoi qu’il arrive, à 13h20.
Résultat : bien que la nuit fut longue, le réveil se révèle
tout de même particulièrement difficile. Heureusement la télévision
est là pour fixer une attention plus que flottante et tenter
de remettre les neurones à leur place. Sur France 2, Catherine
Ceylac anime son Thé ou café, émission dominicale déprimante
au possible tellement elle vous rappelle que vous êtes debout
un dimanche à une heure bien plus proche du zéro que du douze,
ce qui est assimilable pour tout être humain normalement constitué
à la pire des hérésies. D'où un changement de chaîne rapide.
Sur France 3, quinze Gallois maltraitent quinze Canadiens
dans l'un des premiers matchs de la Coupe du monde de Rugby
qui se déroule en Australie. La rencontre ne restera pas dans
les annales, mais avez-vous remarqué combien la vision d'un
rectangle vert dans une chambre assombrie par un ciel maussade
donne une note de soleil bienvenue à l'ensemble ?
Douché de près, rasé de loin, le sommeil regagnait tranquillement
du terrain quand la sonnerie du téléphone retentit violemment
dans la chambre. “ La navette est arrivée, voulez-vous
la prendre ? ”, demande une voix féminine à l'accent
méridional fort prononcé. “ Hein, euh, je descends ”,
répond une voix masculine sans accent particulier à part celui,
nasillard et limite compréhensible, qui résulte d'une fréquentation
trop assidue de ce tentateur de Morphée. Empaquetage ultra-speed,
habillage express, descente des escaliers quatre à quatre
et là le charmant navettier qui dit ce qu'il ne faut pas surtout
pas dire quand on est navettier et qu'on veut faire déguerpir
tous ces festivaliers pour retrouver sa tranquillité et savoir
combien de points vont encaisser les Canadiens : “ Vous
voulez partir maintenant ou plus tard ? ” Réponse
idiote mais logique dans une situation pareille : “ Heu,
ben plus tard ! ” Et bien voilà, voici prononcé le
premier caprice de star d'une existence jusque-là entachée
de relativement peu de délires égocentriques. Caprice de star
d'autant plus ridicule qu'on n'en est absolument pas une et
qu'on n'a aucune envie de devenir l'une de ces personnes souvent
insupportables de prétention.
Après être rentré comme un idiot dans
sa chambre en regrettant de ne pas être parti avec les autres,
après avoir regardé la fin du match Galles-Canada et être
monté une heure plus tard dans la navette balbutiant des excuses
pour son comportement antérieur, après avoir discuté avec
le chauffeur du statut du bénévole en période de festival,
des atouts et désavantages des systèmes judiciaires français
et américains, et de bien d'autres choses encore, l'Espace
s'arrête devant la Gare Saint-Charles. Une demi-heure et un
sandwich plus tard, le TGV quitte Marseille. Pas de jeune
fille imprudente à signaler comme à l'aller ! Et là, au bout
de deux heures et demie de trajet, dans cet espace en mouvement
perpétuel qu'est une voiture SNCF, alors que les images du
festival se bousculent dans un cerveau tentant de trouver
un lien entre toutes les sensations ressenties et les rencontres
réalisées, les propos de trois méridionaux d'une trentaine
d'années assis un peu plus loin résolvent le problème.
Personnage 1 : “ Les apparts sont de plus en plus
chers, c'est fou ! ” Personnage 2 : “ C'est
vrai ! Regarde Michel, il a payé son appart 100 000 euros
! En plus, le pauvre, il a des problèmes avec des minots qui
font la java tous les soirs au pied de la résidence ”.
Personnage 1 : “ Les jeunes, c'est vraiment n'importe
quoi aujourd'hui ! ” Personnage 3 : “ Affreux ”
Personnage 1 : “ Au fait, je vous avais raconté qu'on
avait cambriolé ma mère la veille de Noël ! ”
Personnage 2 : “ Noonnn !!! ” Personnage
3 : “ C'est affreux ! ” Personnage 1
: “ Quand elle a vu qu'il ne restait plus rien, elle
n'a pas bronché. Elle est forte, ma mère ! Mais quand elle
a vu qu'ils avaient pris les cadeaux de Noël, ça lui a fait
un choc ”. Personnage 2 : “ Ils ont même
volé les cadeaux de Noël ! ” Personnage 3 : “ C'est
affreux ! ” Personnage 1 : “ Moi à force,
j'ai envie d'aller vivre tout seul sur une île déserte. Enfin
pas tout seul, j'autoriserai seulement les personnes que j'aime
à me rejoindre ”. Personnage 2 et Personnage 3 approuvent
d'un hochement de tête.