Le Temps du loup de Michael Haneke - Sélection
Officielle Hors Compétition
Difficile de rester complètement éveillé
lors de la projection d’un film distant et sans intérêt, sorte
de remake inconscient ou inavoué de Malevil, le film
d’anticipation oublié de Christian de Chalonge. Difficile de
s’intéresser totalement au sort du personnage incarné par Isabelle
Huppert, poussé avec ses enfants dans un exode suite à l’assassinat
de son mari. Paumée dans le monde, elle bascule dans une dimension
fantasmatique et rejoint un groupe d’hommes et de femmes également
en perdition, croise un couple étonnamment fade (surtout quand
il est incarné par Béatrice Dalle et Patrice Chéreau)… Seule
la dernière image est énigmatique et émouvante. Un feu dans
la nuit, un enfant qui se déshabille, il veut manifestement
s’immoler. Il a perdu son père quelques jours, quelques heures
plus tôt. Son deuil est ruminé en silence. Il est sauvé par
un homme qui le prend dans ses bras et qui lui parle comme le
père qu’il n’a plus (« l’important, c’est ce que tu
as fait, dans ta tête, etc… »).
Drifters de Wang
Xiaoshuai - Un certain regard
Expulsé des Etats-Unis où il a vécu plusieurs
années, où il a fait un enfant avec la fille de ses employeurs,
Hong revient en Chine. Il passe ses journées à traîner en ville,
rencontre une jeune actrice. Un jour, il apprend que le grand-père
de son fils a ramené celui-ci en Chine. Poussé par son frère
et sa belle-sœur, il tente de le voir à tout prix malgré l’accord
qu’il a signé aux Etats-Unis et qui le faisait renoncer à tout
droit sur son fils…Cinéaste chinois de la Sixième Génération,
Wang Xiaoshuai a réalisé précédemment So close to
paradise ou Beijing Bicycle. Cette fois, il traite
avec mélancolie des thèmes de l’immigration clandestine et de
la descendance familiale. Mais le film se dépare pas d’un certain
ennui, à l’image de sa terrifiante première demi-heure, où il
ne se passe absolument rien, et où il n’est pas difficile dans
le contexte festivalier, de sombrer dans une torpeur indicible…
The Brown Bunny de Vincent Gallo
- Compétition, sélection officielle
Les mystères du festival de Cannes, les
mystères du cinéma. Autant Drifters finissait de nous
achever, autant The Brown Bunny nous ressuscite.
Pourtant, il ne s’y passe pas plus de choses que dans le film
chinois. Vincent Gallo y est omniprésent, se filmant sous
toutes les coutures, incarnant un personnage traversant les
Etats-Unis avec sa camionnette noire, transportant sa moto
à l’autre bout du pays pour participer à une course. Son comportement
est étrange. Vivant dans le souvenir d’une jeune femme, Daisy
(Chloé Sévigny), qu’il espère retrouver, il croise des femmes,
les embrasse, les effleure, les prend en stop avant de les
abandonner. Le film est un one man show Gallo, pris dans son
sommeil, ses silences, ses gestes les plus quotidiens. Le
film prend toute sa dimension émouvante à la fin, lors de
l’apparition tant attendue de Daisy. Arrive alors la désormais
fameuse séquence de la fellation, d’une tendresse folle, expression
d’une montée flamboyante du désir, indispensable à la compréhension
du film. Ou comment les fantômes s’incarnent charnellement
dans les rêves des hommes endeuillés… L’image de « The
Brown Bunny » (un vrai lapin marron !) apparaissant
comme le symbole d’un état d’innocence perdu. The
Brown Bunny est un grand film mélancolique sur l’état
de deuil, un grand film tout simplement. Et l’on comprend
alors d’autant moins l’accueil détestable fait au film en
projection de presse. Certains disent que le public de Cannes
est « difficile ». Façon pudique de dire les choses.
On préférera parler de public réactionnaire, petit-bourgeois,
d’enfants gâtés, un public plus apte à roter, péter, gueuler,
huer et siffler devant un film qu’à tenter de ressentir l’âme
d’un film plus singulier. Le public de Cannes est d’autant
plus navrant qu’il est arrogant. Ces réflexions sont bien
évidemment générales, elles ne visent pas tous les journalistes
ni tous les professionnels présents aux projections. Mais
cette réalité existe et évolue avec le temps, pas toujours
dans le bon sens. Pour ce qui est du film de Vincent Gallo,
et contrairement à la majorité des journalistes présents,
nous remercions Thierry Frémaux de l’avoir sélectionné. Et
d’avoir osé mettre en lumière une proposition radicale de
cinéma.