Maintenant que les présentations
sont faîtes, les personnages peuvent se rencontrer.
C’est le cas de Mathilda qui débarque chez Léon.
Ils se sont déjà croisés, mais les besoins
du scénario vont les unir définitivement. Leur
rencontre a d’ailleurs été annoncée,
par un montage alterné, dévoilant deux scènes
presque habituelles, quotidiennes : Léon fait
ses abdominaux, Mathilda se dispute avec sa demi-sœur. Puis
Léon s’arrête, après que Mathilda ait
dit : " Elle est morte ". Car
c’est bien de cette idée que part Besson, une idée
quelque peu originale : la rencontre de deux cadavres.
Léon est mort en arrivant à New York, récupéré
par Tony et transformé en machine tueuse. Quant à
Mathilda, elle prétexte sa propre mort à la
directrice de l’école, pour justifier ses absences.
Elle met l’autre pied dans la tombe à la mort de son
petit frère, seul être vivant auquel elle tenait
vraiment.
Léon et Mathilda, ces deux dépouilles, ont donc
rendez-vous. Et là, ce n’est pas une rencontre, c’est
un électrochoc. De la mort naît la vie. La scène
qui l’illustre est limpide, simple. Elle dénote cependant
un écoulement du temps particulier, qui sera d’ailleurs
rendu par la musique, on y reviendra. Par un travelling au
service de la caméra subjective, le spectateur se retrouve
directement impliqué. Au moment où Mathilda
va pour rentrer chez elle avec les commissions, elle comprend
immédiatement que quelque chose de grave s’est passé
et décide donc d’aller sonner à la porte de
Léon. Celui-ci apparaît à l’écran,
gêné par ce qu’il comprend en regardant à
travers son judas, et un travelling arrière montre
alors l’enfant qui avance vers la porte. Le spectateur a donc
le point de vue de Léon en caméra subjective.
La brève apparition de Léon constitue en fait
l’exposant visuel chargé de signifier au spectateur
la présence hors-champ imminente du personnage. Le
champ qui était neutre au cours de la séquence
précédente, c’est-à-dire au bénéfice
d’aucun des personnages, s’approprie ici, via un élément
visuel, la position de Léon. Le spectateur "s’identifie"
alors à Léon, non pas comme s’il voulait être
à sa place, mais sachant qu’il y est par procuration.
Le travelling est utile à Luc Besson pour deux raisons.
Grâce à lui, un micro-suspense est crée
par l’intermédiaire de la question que le spectateur
n’a pas d’autre alternative que de se poser : Léon
va-t-il ouvrir la porte ? D’autre part, il concentre
l’action en précipitant la rencontre des deux personnages,
et en ramenant Mathilda au niveau de savoir du spectateur :
sa famille et surtout son petit frère sont morts, information
qu’elle a recueillie pendant son avancée.
La musique qui accompagne cette séquence
est à la fois ensorcelante et lancinante, et renforce
complètement la mise en scène. Les sons des
violons semblent durer et s’étirer dans le temps, et
le thème principal se répète souvent.
On a l’impression de quelque chose de très proche (le
rythme de fond de la musique est rapide et très chargé,
il n’y a pas de temps mort) : Mathilda va arriver à
la porte de Léon. Et en même temps un doute plane
et étire la séquence dans le temps (c’est
le rôle des violons) : Léon va-t-il ouvrir la
porte ? Voilà comment est rendu le micro-suspense.
En fait, le rythme des images n’est pas le même que
celui de la musique. La progression de Mathilda est filmée
très lentement, avec un petit ralenti. La musique accompagne
le travelling arrière de la caméra, braquée
sur Mathilda. Les violons rythment ce travelling en quelques
sortes, mais le rythme de fond contraste et semble vouloir
précipiter les événements. Ici, l’image
et la musique sont dissociables, et existent chacune indépendamment
l’une de l’autre. Cependant, c’est leur réunion qui
donne à la scène toute sa dimension.
Le ton monte maintenant. Finalement, un montage alterné
montre Mathilda en pleurs et Léon interloqué.
Il ouvre la porte. La musique baisse alors d’un ton, comme
soulagée à son tour. Le spectateur et Mathilda
connaissent les mêmes informations, et l’enfant peut
alors se confier en toute sécurité à
Léon, loin de la peur et du bruit, amplifiés
par la musique.
Plusieurs questions se posent maintenant. Le fait qu’Eric
Serra a composé la musique de tous les films de Luc
Besson ne l’a-t-il pas enfermé dans un genre ?
Est-ce que les bandes originales du compositeur se ressemblent ?
Si oui, est-ce dû au compositeur lui-même ou au
fait que le style de Luc Besson évolue peu et appelle
toujours un genre de musique similaire ?