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Mr Eddy - Robert Logia (c) D.R.
Durant les trois mois et demi passés chez David, la simple existence de ce nouveau projet de long métrage aurait probablement justifié à elle seule que je fasse un pieux pèlerinage sur les traces de ce film alors virtuel, ce que je mis à exécution dès la semaine de relâche de Noël 1995. D'autres prétextes se présentèrent comme une évidence pour explorer les lacets de Mulholland Drive. En premier lieu, le Crow's Nest où je séjournais était perché à flanc de colline, à quelques mètres en contrebas de cette fameuse avenue. Cette proximité avec sa propriété a sans doute constitué une source d'inspiration non négligeable pour David : bien que Mulholland Drive serpente sur près de cent kilomètres, une série de plans sur des panneaux indicateurs (notamment celui de Franklin Av.) dans les séquences initiales du film démontrent que l'action se déroule dans les environs immédiats de la demeure où il réside, ce qui n'est pas sans rappeler la genèse de Lost Highway, où la maison des Madison était voisine de la sienne. Si j'ignorais évidemment ces détails en 1995, je savais par contre que, au terme d'un des nombreux virages qui rythmeraient ma marche, Mulholland Drive me conduirait rapidement au Hollywood Bowl Overlook (7) qui, comme son nom l'indique, offre une impressionnante vue panoramique d'une grande partie de Los Angeles, des hauts buildings de Downtown aux riches zones résidentielles de Beverly Hills en passant par les collines verdoyantes d'un parc naturel sur lequel je reviendrai d'ici quelques instants. C'est également depuis cet observatoire privilégié que je pus observer pour la première fois un des monuments incontournables d'Hollywood devant lequel pourrait s'extasier Betty, le personnage principal de Mulholland Drive, tout comme des millions de spectateurs à travers le monde : les célébrissimes lettres géantes du Hollywood Sign…


Par la suite, le tournage de Lost Highway me ramena à Mulholland Drive : la mémorable séquence du tailgater, durant laquelle Mr. Eddy, très à cheval sur les principes, assène un cours particulier percutant à un chauffard qui n'a pas suffisamment respecté à son goût les règles de base du code de la route, était en effet censée se dérouler sur cette avenue, comme le stipulait le scénario. Or, probablement parce que Mulholland Drive est très fréquentée durant la journée, la production se rabattit pour le tournage sur une voie relativement déserte mais présentant pourtant des similitudes frappantes avec l'avenue hollywoodienne : une route extrêmement contournée qui dévale le long des collines de Griffith Park, immense parc naturel qui se déploie au nord-est d'Hollywood. Pour les mêmes raisons, nous pouvons d'ailleurs facilement imaginer, même si rien ne permet de l'affirmer indubitablement, que la séquence initiale de Mulholland Drive a de nouveau pu être tournée à Griffith Park, tant les lacets que l'on y entrevoit me paraissent proches de l'image que j'en ai conservée dans mes souvenirs. (Dans un entretien accordé au magazine Studio, David a cependant récemment affirmé que la séquence en question avait bel et bien été tournée sur Mulholland Drive, entre Outpost Drive et le Hollywood Bowl Observatory.)


  Twin Peaks (c) D.R.

Aujourd'hui, lorsque David fait remonter la source de Mulholland Drive à 1990, il souligne en fait simplement l'attrait séduisant qu'avait su exercer sur lui le nom de cette route hollywoodienne. Il entreprenait alors de mettre en chantier le feuilleton Twin Peaks qui allait marquer de son empreinte l'histoire de la télévision. A l'origine, Mulholland Drive aurait été imaginé comme un possible spin-off de Twin Peaks, c'est-à-dire une série télévisée parallèle, qui développerait une histoire entièrement nouvelle en conservant quelques personnages et une atmosphère de base. Mais cette option n'avait abouti à rien, et demeurait donc telle quelle dans les limbes lynchiennes : un feuilleton télévisé qui porterait le nom magique d'une célèbre avenue de la Cité des Anges.


Puisque Mulholland Drive était tout d'abord destiné à appartenir à la même famille que la première création télévisuelle de David, dissipons d'ores et déjà une méprise fréquente dans la dénomination ou la classification de Twin Peaks, qui est un feuilleton et non pas une série télévisée, bien que ce dernier terme serve à tort aujourd'hui pour désigner indifféremment les deux genres pourtant fort distincts l'un de l'autre (sans compter que le terme feuilleton paraît inexplicablement désuet ou même ringard dans le vocabulaire contemporain). Une série prend pour postulat un certain nombre de personnages évoluant dans un environnement et un contexte fixes, dont l'équilibre est invariablement mis en péril au début d'un épisode avant de se rétablir à la fin de ce dernier. De plus, l'ordre de ses épisodes n'a somme toute que peu d'importance et n'intervient d'ailleurs que très rarement dans l'intrigue imaginée par des bataillons de scénaristes : leur diffusion pourrait quasiment se faire au hasard sans incidence majeure, si l'on se réfère par exemple à l'un des modèles du genre, Mission : Impossible. Cette absence de chronologie n'est d'ailleurs pas sans avoir un effet involontairement surréaliste et comique, puisque ce type de héros semble vivre indéfiniment dans un espace-temps immuable, comme s'il revivait sans cesse le même continuum temporel sans évoluer d'un iota, sans faire référence à son passé ni en tirer d'enseignements particuliers, tel un bloc infissile donné une fois pour toutes (ce qu'est en fait littéralement la fameuse bible que confectionne le créateur de toute série et que chaque scénariste doit compulser fébrilement pour ne pas s'éloigner de la ligne de conduite définie au préalable dans les moindres détails.)