Alors, comment le scénariste
s’y est-il pris pour transposer cet univers si complexe ?
" J’ai écrit une bible, ou plutôt
un texte, regroupant des réflexions sur une adaptation
qui a d’une part rassuré les ayants droits et de l’autre
a servi de garde-fou, c'est-à-dire nous a empêchés
de faire n’importe quoi, tout en nous permettant de nous inspirer
de la liberté de Pratt ". Pour adapter
cette œuvre très personnelle, l’équipe était
constituée d’aficionados de Corto Maltese, partageant
la même volonté de fidélité avec
le réalisateur Pascal Morelli, très impliqué
dans le projet du début à la fin.
Alors au final, Morelli a-t-il réussi à faire
revivre la magie contenue dans les albums d’Hugo Pratt ?
En tout cas, le héros sur papier entame une seconde
vie, cinématographique cette fois, et les aventures
de ce Corto animé ne font que commencer…
CORTO MALTESE, LA COUR SECRETE DES ARCANES :
LE FILM EN QUESTION
1919. L'Asie est plongée
dans le chaos. Le train blindé de l'amiral Kolchak,
forteresse imprenable bardée de canons, sillonne la
Russie, la Mandchourie et la Sibérie et attise toutes
les convoitises. Dans cette impitoyable chasse au trésor,
Corto Maltese et son ami-ennemi Raspoutine se lancent tous
deux à la poursuite de ce convoi sinistre. Au cours
de cette traque, ils croiseront des sociétés
secrètes chinoises, une duchesse russe aussi charmante
que perverse, un avatar de Gengis Khan, un aviateur américain
et plusieurs généraux partagés entre
la nostalgie de leur grandeur passée et le souci de
leur avenir.
Le résultat est à la hauteur du chef d’œuvre.
Pascal Morelli réussit à restituer le mystère
et la magie qui nous saisissent à la lecture de la
bande dessinée. L’ensemble gagne en épaisseur,
en subtilité et en poésie grâce notamment
à la bande son exceptionnelle et un thème musical
envoûtant, surtout dans les parties chinoises, qui rend
hommage à la beauté des images. L’ambiance du
film est à l’image du personnage de Corto par le romantisme,
l’envoûtement et en même temps la simplicité
qui s’en dégage.
Les scénaristes ont clairement opté pour une
fidélité au texte de l’album et c’est dans le
graphisme (malgré un style s’inspirant des dessins
de Pratt) qu’ils se sont le plus affranchis de l’original.
Au niveau narratif, le défi est relevé. Les
auteurs parviennent tout en gardant sa part de mystère
à l’histoire, à captiver un spectateur de cinéma
sans le perdre en route, dans une histoire trop complexe et
de multiples personnages ; et cela grâce à
une structure dramatique forte présente dés
le départ dans l’album de Pratt, ce qui n’est pas le
cas dans tous les albums.
Les fans seront ravis
car le réalisateur n’a pas trahi l’œuvre de Pratt.
Il a suivi fidèlement l’histoire de Corto Maltese en
Sibérie sans verser dans le spectaculaire facile, sans
chercher à simplifier une histoire pourtant passablement
compliquée. Le spectateur néophyte peut ainsi
se plonger sans difficulté dans cet univers complexe
mais passionnant où se mêlent sociétés
secrètes, personnages historiques et rebondissements
inattendus.
Le film permet à une nouvelle génération,
pour laquelle l’œuvre d’Hugo Pratt est inconnue, de découvrir
ses bandes dessinées, qui s’adressent autant à
l’intellect qu’à la sensibilité et à
l’imagination. Un grand film d’animation qui, même s’il
évoque dans son traitement du temps, les westerns de
Sergio Leone et par son ironie mordante, les comédies
italiennes, garde le parfum d’une œuvre absolument unique
et novatrice.