Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Stanislas Lem (c) D.R.

Tarkovski a su aussi trouver de nouvelles formes visuelles pour l’adaptation de l’œuvre littéraire, avec, par exemple, la bande vidéo du compagnon décédé de Kris : Gibarian. On le voit en images expliquer qu’il se passe des choses étranges dans la station. Chez Lem, ce message laissé à Kris était enregistré sur un magnétophone. En même temps, cela nous permet d’apercevoir le visiteur de Gibarian, qui est une fillette. Le choix de montrer ces visiteurs constitue une des grandes différences avec le roman.

Lem choisit de ne pas évoquer les visiteurs des deux autres scientifiques présents avec Kris dans la station. Chez Tarkovski, on les aperçoit pourtant, l’espace de quelques secondes : une oreille chez Snaut et un nain chez Sartorius, ce qui contribue à renforcer l’aspect surnaturel de ces apparitions.

Le plus important, quand on compare les deux œuvres, reste indéniablement la fin de l’histoire, liée à l’hypothèse de l’existence ou non d’un Dieu gouvernant la planète Solaris. Le personnage de Lem reste sur la station pour continuer ses expériences afin de communiquer, un jour, avec Solaris et espérer secrètement revoir la femme aimée. Le roman se clôt donc sur l’attente et l’espoir.

La fin de Tarkovski est beaucoup plus pessimiste. Dans le tout dernier plan du film, on voit la maison d’enfance de Kris, mais la caméra s’élève et l’on découvre que cette maison se trouve sur une île. La maison a été reconstruite par L’Océan à partir des souvenirs de Kris. Ce dernier se trouve donc prisonnier de ses rêves, de son passé, de lui-même dans l’environnement reconstitué par Solaris.

(On peut même aller plus loin en avançant l’hypothèse que ce n’est peut-être pas Kris qui se trouve sur l’île mais son clone).

  Solaris de Steven Soderbergh (c) D.R.

Quant à l’idée que Solaris soit une sorte de Dieu (ou non), le roman ne tranche pas. Il expose les deux hypothèses qui ouvrent sur un champ de possibilités presque infini, laissant ainsi au lecteur le soin d’imaginer sa propre fin. Dans la première hypothèse, le Dieu Océan serait, comme le pensaient autrefois les spéculateurs de la Kabbale juive dans leur doctrine du Tsintsoum (voir notes) un Dieu imparfait, à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un qui comble son manque. Kelvin le résume ainsi : " Un Dieu imparfait, limité dans son omniscience et dans sa toute puissance, faillible, incapable de prévoir les conséquences de ses actes, créant des phénomènes qui engendrent l’horreur ".

Mais à la suite de ce postulat, Lem à travers le personnage de Kris, développe une seconde hypothèse (impliquant l’impossibilité de communiquer avec L’Océan) : Solaris n’est peut être " qu’un enfant au comportement quelque peu extravagant, qui enverrait aux hommes des simulacres de vie pour tenter de les comprendre. " Mais, face à l’échec de l’établissement d’une quelconque communication, il faut se résigner (comme Kris) à abandonner l’hypothèse d’un Solaris-Dieu. Car Solaris n’a pas besoin, contrairement au Dieu imparfait de la Kabbale, du concours des hommes puisqu’il n’a pas, comme le croient les scientifiques qui l’étudient, de conscience supérieure.

Andreï Tarkovski (c) D.R.

Tarkovski suit plutôt la première hypothèse et aborde la représentation de la présence divine sous l’angle de la nature des rapports entre les différents personnages. Pour Tarkovski, grand mystique orthodoxe, la réponse devrait passer par Dieu. Mais ce n’est pas le cas : le cinéaste n’envisage pas la planète Solaris sous la forme d’un Dieu, puisque si la planète Solaris était un Dieu, une notion d’espoir serait présente à la fin du récit. Or, dans ce Solaris version cinéma, l’espoir est étouffé, la boucle se referme et Kris reste prisonnier. Il semble que Tarkovski ait voulu plutôt donner l’idée d’une entité sans conscience, qui opère un mécanisme de recréation offrande que le cinéaste conçoit plus automatisé que pensé par L’Océan.