La perception d’une
sortie collective et divertissante
En se penchant sur la signification que revêt cette sortie
scolaire au cinéma, il apparaît d’abord qu’elle peut être
perçue comme divertissante et plaisante. Elle rompt la routine
d’un emploi du temps cyclique et de lieux balisés. Davantage,
elle est supposée apporter du plaisir car il ne s’agit plus
de faire l’effort d’apprendre des connaissances, mais juste
de se livrer au spectacle cinématographique, considéré comme
naturel et aisé, et non plus exigeant. Autrement dit et en
d’autres termes, la séance en salle tranche avec l’ordinaire
tout en restant paradoxalement familière en tant qu’elle correspond
à une pratique connue de tous dans la sphère privée.
Aller avec ces camarades de classe et son professeur vivre
la projection d’un film, activité d’habitude associée à une
libre décision familiale ou amicale, constitue donc un mélange
des genres. Par un tel contraste, ce télescopage des cadres
de référence coutumiers est susceptible de créer un sentiment
de familière étrangeté ou plus inquiétant, de contradiction
entre la libre envie de se rendre au cinéma et l’obligation
ici de suivre cette séance prescrite par l’institution.
Une initiation à la projection
collective et à la pratique du débat
Peut-être en rapport avec ce mélange des genres, la visée
pédagogique de cette séance peut en laisser certains dubitatifs.
Certaines réactions d’incompréhension mettant en doute l’intérêt
de l’intervention que je menais me l’ont confirmé. L’éducation
à l’image et par l’image n’a pas encore le statut légitime
d’une discipline établie, notamment en raison de sa forme
originale qui la distingue des enseignements plus traditionnels,
aux contenus denses établis en fonction d’un programme planifié
à suivre.
Assister à ce qui ressemble en première approximation à une
conférence menée par un spécialiste du cinéma n’appartient
pas non plus aux habitudes de lycéens. C’est pour certains
la première fois qu’ils ont à faire à une intervention de
ce type, avec un changement de cadre qui leur fait oublier
la similitude avec les cours magistraux qu’ils connaissent
aussi par ailleurs. De même, le fait de débattre ensemble
du film ne va pas de soi et l’habitude de mener une discussion
n’est pas encore installée.
Il est intéressant de noter cet aspect car cette séance scolaire
permet d’introduire et de pointer la singularité du dispositif
cinématographique : la projection collective dans l’obscurité
suspend, le temps du film, les fonctions - celles d’élève
et de professeur notamment - et les différences, par exemple
entre bons et mauvais élèves. Egalité fondatrice de la séance
de cinéma, où chacun est restitué à son identité, à sa sensibilité
et à son histoire personnelle pour découvrir, solitaire, le
film, alors que tous deviennent indistincts dans la salle.
Mais aussi vie collective qui se manifeste par des rires,
des cris, des soupirs, voire par des commentaires.
Cet aspect permet aussi de faire valoir au public qu’il est
sur un terrain maîtrisé, celui du visionnage de film. Spectateur
présumé apte à comprendre le film par son rapport familier
à l’audiovisuel, il est pertinent de signaler aux lycéens
qu’il est d’emblée un expert qui sait décrypter les séquences,
reconstitués la succession des faits malgré, par exemple,
d’éventuelles sautes dans le temps.
Par cette insistance, tout lycéen est réévalué eu égard à
son statut d’apprenant qui ne sait pas encore. Loin de toute
dérive démagogique, il est possible dès lors lui montrer que,
pour autant, la compétence de visionnage n’est pas celle d’analyse.
Preuve en est, cette illusion de réalité produit par la représentation
cinématographique, figurative et photoréaliste, face à laquelle
il si difficile de prendre de la distance pour voir à quel
point elle est fabriquée.
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