Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
La perception d’une sortie collective et divertissante

En se penchant sur la signification que revêt cette sortie scolaire au cinéma, il apparaît d’abord qu’elle peut être perçue comme divertissante et plaisante. Elle rompt la routine d’un emploi du temps cyclique et de lieux balisés. Davantage, elle est supposée apporter du plaisir car il ne s’agit plus de faire l’effort d’apprendre des connaissances, mais juste de se livrer au spectacle cinématographique, considéré comme naturel et aisé, et non plus exigeant. Autrement dit et en d’autres termes, la séance en salle tranche avec l’ordinaire tout en restant paradoxalement familière en tant qu’elle correspond à une pratique connue de tous dans la sphère privée.

Aller avec ces camarades de classe et son professeur vivre la projection d’un film, activité d’habitude associée à une libre décision familiale ou amicale, constitue donc un mélange des genres. Par un tel contraste, ce télescopage des cadres de référence coutumiers est susceptible de créer un sentiment de familière étrangeté ou plus inquiétant, de contradiction entre la libre envie de se rendre au cinéma et l’obligation ici de suivre cette séance prescrite par l’institution.


Une initiation à la projection collective et à la pratique du débat

Peut-être en rapport avec ce mélange des genres, la visée pédagogique de cette séance peut en laisser certains dubitatifs. Certaines réactions d’incompréhension mettant en doute l’intérêt de l’intervention que je menais me l’ont confirmé. L’éducation à l’image et par l’image n’a pas encore le statut légitime d’une discipline établie, notamment en raison de sa forme originale qui la distingue des enseignements plus traditionnels, aux contenus denses établis en fonction d’un programme planifié à suivre.

Assister à ce qui ressemble en première approximation à une conférence menée par un spécialiste du cinéma n’appartient pas non plus aux habitudes de lycéens. C’est pour certains la première fois qu’ils ont à faire à une intervention de ce type, avec un changement de cadre qui leur fait oublier la similitude avec les cours magistraux qu’ils connaissent aussi par ailleurs. De même, le fait de débattre ensemble du film ne va pas de soi et l’habitude de mener une discussion n’est pas encore installée.

Il est intéressant de noter cet aspect car cette séance scolaire permet d’introduire et de pointer la singularité du dispositif cinématographique : la projection collective dans l’obscurité suspend, le temps du film, les fonctions - celles d’élève et de professeur notamment - et les différences, par exemple entre bons et mauvais élèves. Egalité fondatrice de la séance de cinéma, où chacun est restitué à son identité, à sa sensibilité et à son histoire personnelle pour découvrir, solitaire, le film, alors que tous deviennent indistincts dans la salle. Mais aussi vie collective qui se manifeste par des rires, des cris, des soupirs, voire par des commentaires.

Cet aspect permet aussi de faire valoir au public qu’il est sur un terrain maîtrisé, celui du visionnage de film. Spectateur présumé apte à comprendre le film par son rapport familier à l’audiovisuel, il est pertinent de signaler aux lycéens qu’il est d’emblée un expert qui sait décrypter les séquences, reconstitués la succession des faits malgré, par exemple, d’éventuelles sautes dans le temps.

Par cette insistance, tout lycéen est réévalué eu égard à son statut d’apprenant qui ne sait pas encore. Loin de toute dérive démagogique, il est possible dès lors lui montrer que, pour autant, la compétence de visionnage n’est pas celle d’analyse. Preuve en est, cette illusion de réalité produit par la représentation cinématographique, figurative et photoréaliste, face à laquelle il si difficile de prendre de la distance pour voir à quel point elle est fabriquée.