Objectif Cinéma : Mais
dégueulasse dans quel sens ?
Bruno Nuytten : A
tous points de vue. C'est dégueulasse dans le sens
où il y a quelque chose d'extrêmement immonde
à vouloir voler du réel comme ça. Qu'on
reconstitue les choses ou qu'elles soient effectivement
sorties du réel (mais si on les reconstitue, elles
sont sorties du réel aussi). Ces culs d'entonnoir
que sont les appareils à filmer ont un côté
suçeur : ce que j'appelle un côté "dégueulasse".
On suçe du réel. C'est très inhibant
! J'ai eu des difficultés quand j'étais chef-opérateur.
Parfois, j'avais l'impression que l'acteur allait partir
à gauche et moi à droite ! A en trembler de
peur ! Je souhaitais rester dans le réel pour ne
pas passer de l'autre côté du miroir.
Il y a aussi des moments de bonheur inexplicables derrière
la caméra : quand tout est juste, l'absence de questions
provoque un vrai bonheur de fatigue, la fatigue de l'exécution
d'une chose qui a l'air relativement un tout petit peu importante
à ce moment-là entre des personnes qui sont
évidemment concernées.
Mais pour revenir à cette perspective de voir des
images partout, cela m'angoisse terriblement...
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Objectif Cinéma :
Comment le spectateur grand public
peut faire le tri aujourd'hui parmi les images qu'il reçoit
?
Bruno Nuytten : Personne
ne peut plus faire le tri. Soit on l'impression de le faire
et on lit "Télérama", "les
Cahiers du Cinéma", "les Inrockuptibles".
Ce n'est qu'une impression car on est confrontés
très rapidement à une forme de sectarisme,
d'étroitesse de pensée des uns et des autres
qui ne donne envie d'acheter que "Pariscope" ou
alors on a vingt ans, on ne pense à rien, on ne lit
rien et c'est une autre façon aussi d'aborder un
film, comme une friandise. On va voir ce qui est le plus
efficace en représentation de friandise.
Objectif Cinéma :
J'espère quand même qu'il existe encore des
spectateurs buissonniers...
Bruno Nuytten : Au
flair, au hasard ? Ils n'ont pas le temps ! Je pense toujours
qu'il y a eu des buissonniers qui ne sont pas allés
voir mon film ! C'est difficile, il faut y aller tout de
suite, le premier jour... Le premier jour il faut avoir
20 ans c'est de la grosse friandise ! C'est "Pokemon"
le premier jour ! C'est pas "passionnément"
en tous cas !
Objectif Cinéma : Pour
revenir à "passionnément", certains
ont été déconcertés par les
parti-pris narratifs. Les flash-backs par exemple ne sont
absolument pas scolaires. Il y en a deux dans le film et
ils ne sont absolument pas gratuits. Il est intéressant
de voir les signes d'une histoire passée affleurer
progressivement au présent de la narration.
Bruno Nuytten : Il
me semblait que c'était un procédé
très romanesque. J'avais envie que le spectateur
puisse se laisser aller au film sans à-priori. Si
c'est le cas, il aura effectivement du mal à suivre
parce que des éléments sembrouillent,
s'expliquent mal, se contredisent, avant de s'éclaircir
enfin. Je reconnais que c'est parfois un peu épais
et explicatif. Mais c'était indispensable, car on
m'a fait très tôt remarquer que personne n'allait
comprendre. C'est un film très simple d'accès
mais bâti sur un principe de flash-back dans le flash-back
qui vient tout au début du film et qui n'embête
plus personne ensuite. A part l'épilogue où
on revient au présent.