Objectif Cinéma : Mais
certains spectateurs sont persuadés d'avoir vu plusieurs
flash-backs dans le film !
Bruno Nuytten : On
m'a raconté que plusieurs personnes, surtout des
journalistes, disaient que Charlotte Gainsbourg n'avait
plus l'âge de jouer une fille de quinze ans...alors
qu'elle joue le rôle d'une fille de 26-27 ans dans
le film mais qu'effectivement on fait allusion à
ce qu'elle était treize ans plus tôt. Cela
veut dire qu'ils n'ont absolument pas vu le film !
Objectif Cinéma : C'est
intéressant en même temps : cela veut dire
que le passé est présent de manière
subliminale...
Bruno Nuytten : Complètement.
Que se passe-t'il si quelqu'un arrête de fonctionner
après son premier chagrin d'amour à quinze
ans ? Il grandit, il vieillit, mais reste figé dans
ce temps. Alice vit comme une jeune fille de quinze ans
alors qu'elle en a presque trente. C'est de la folie, mais
je ne voulais pas qu'elle soit perçue comme ridicule,
je voulais que ce personnage soit extrêmement touchant
à cause de cela. Qu'elle soit arrêtée
dans le temps en contenant le plaisir qu'elle a eu il y
a quinze ans avec cet homme. Même si elle est mince
comme un fil, c'est une fille très sexuée.
Je la trouvais riche comme peuvent l'être aussi les
grandes anorexiques, avec une personnalité extrêmement
puissante, violente, intègre.
Objectif Cinéma : Elle
est filmée de manière sensuelle...comme cette
scène où elle plonge nue dans la Méditerrannée,
à l'aube...
Bruno Nuytten : De
la sensualité au deuxième degré : cette
mer qui la sépare de cet homme dans son bateau, c'est
une manière de se rapprocher de lui. Il y a aussi
un hommage discret et personnel à "Pierrot le
fou" car la séquence est tournée devant
la maison qu'on voit dans le film de Godard. Il y a aussi
un côté "Contrebandiers de moonfleet"
dans cette scène, qui figure la partie invisible
de l'histoire (la fuite du Brésil).
Objectif Cinéma :
Le film fait songer aussi inévitablement
à "la femme d'à côté"
Bruno Nuytten : Complètement.
Et aussi à "Jules et Jim" pour la fin (la
détermination de Jeanne Moreau à se suicider
avec l'un des deux) et la détermination obsessionnelle
d'Adèle H pour l'amour de cet homme qui n'est pas
amoureux d'elle et ne la connait quasiment pas ("l"histoire
d'Adèle H"). Dans la nature de l'obsession amoureuse
du personnage d'Alice, on retrouve le même type de
comportement mais moins maladif que dans le cas d'Adèle
H. "La chambre verte" fait aussi allusion à
ça, à ces gens qui n'arrivent pas à
faire le deuil des histoires d'amour. C'est une thématique
assez fréquente chez Truffaut, qui en fait le cinéaste
de l'amour en France dans les années 70-80. Cette
tendance à filmer des idées noires sur l'amour
m'a toujours beaucoup séduite.