Objectif Cinéma :
Les distributeurs ne savent que
faire de films sans cibles commerciales exactes.
Bruno Nuytten : J'en
ai marre d'entendre le mot atypique à propos de mes
films. C'était déjà le cas pour "Albert
souffre". J'entends aussi ce mot pour la moindre chose
qui ne ressemble pas au reste. A la base, le mot n'a pas
de connotation négative. Mais il l'est devenu. Parce
qu'en terme de commerce, quelque chose d'atypique n'est
pas vendable. Et c'est normal : la chaîne se fait
toujours à l'envers : la confiserie fait l'exploitant,
l'exploitant fait le distributeur, le distributeur fait
le producteur sauf que le producteur n'est pas un fabricant
de confiseries !
Objectif Cinéma : Est-ce
que "Albert souffre" avait connu les mêmes
difficultés pour sortir ?
Bruno Nuytten : "Albert
souffre" avait coûté huit millions de
francs. Entre les Soficas, l'avance sur recettes, il n'a
coûté d'argent à personne. Albert Koski
avait avancé un million de francs pour faire démarrer
le projet (il a récupéré après
son argent), on est allé distribuer des tracts dans
Paris à sa sortie, ce n'était pas du tout
la même chose ! J'avais dessiné l'affiche moi-même...
On a quand même fait 80000 entrées l'air de
rien... 80000 entrées France ! J'aurais du me repencher
sur le montage, le début ne fonctionne pas bien,
il y a des tas de défauts... C'était "atypique"
!
Objectif Cinéma : Impossible
de le voir aujourd'hui !
Bruno Nuytten : Il
a jamais été édité en K7, j'ai
une K7 que ma mère avait enregistré par hasard
un jour à la télé, je sais qu'il est
passé quatre fois sur Cinéfaz, une chaine
de TPS, il n'y a pas longtemps et cinq fois sur Canal Plus
à l'époque. Si un festival du film "atypique"
existait un jour, j'aurais peut-être la chance d'y
voir projeter mes films !
Objectif Cinéma : Est-ce
que des personnes de la profession se sont manifestées
pour vous dire ce qu'ils pensaient de votre film ?
Bruno Nuytten : Contrairement
à ce qu'on pense, ce n'est pas une profession où
les gens se manifestent. Je l'ai beaucoup fait quand j'étais
chef-opérateur. Dès que je voyais une photo
que je trouvais formidable, j'appelais le type pour lui
dire. Je me suis fait les pires ennemis du monde ! Certains
ont trouvé cette démarche très suspecte
: ça ne se fait pas. Du moins en France. Ce qui revenait
assez souvent, c'était "mais qu'est-ce qu'il
me veut ?" Je n'ose plus le faire. Les gens sont compliqués
et ne le font pas. Mais parfois ça fait du bien de
l'entendre. Ils le font le soir des "César"
sans doute.