Objectif Cinéma : Mais
ce n'est pas toujours sincère ce soir-là...
Bruno Nuytten : La
sincérité est faussée parce qu'ils
ne voient que les films qui marchent. Ils ne peuvent juger
de la qualité des autres puisqu'ils ne les voient
pas.
Objectif Cinéma : Etiez-vous
bien entouré sur le tournage de "passionnément"
?
Bruno Nuytten : J'avais
confiance en Eric Gautier qui avait fait la photo d'"Albert
souffre", il a aussi été stagiaire sur
"la vie est un roman" et mon éléve
(à Vaugirard) il y a très longtemps. J'ai
suivi ensuite son parcours. Il aime vraiment le cinéma,
tout comme l'ingénieur du son ou la monteuse. Oui,
j'étais bien entouré. Après, il est
vrai que les techniciens qui connaissent et qui aiment encore
le cinéma sont rares.
Objectif Cinéma :
C'est ce que dit Godard en somme...
Bruno Nuytten : Il
l'a dit avant tout le monde. Il s'en est rendu plus compte
plus vite que les autres.
Mais ça s'est généralisé. Les
gens sur les plateaux n'aiment pas le cinéma.
Objectif Cinéma :
D'où ça vient ?
Bruno Nuytten : Un
plateau de cinéma n'est jamais qu'une représentation
microscopique du drame des relations entre les dirigeants
et les dirigés.
Objectif Cinéma :
Qu'est-ce que c'était que
cette histoire de caméra introduite par Godard sur
le tournage de "Détective" ?
Bruno Nuytten : C'est
une question que personne ne s'est jamais posée.
Dès le premier jour de tournage, il y avait un type
avec une caméra : il était sensé faire
un making of. Qui a demandé à cette caméra
d'être là ? On ne l'a jamais su. Godard était
comme toujours coproducteur de son film. Je ne vois pas
Alain Sarde (le producteur du film) imposer un making of,
ce n'était pas son genre. Donc je peux supposer que
c'est Godard qui a souhaité qu'on fasse un making
of sur son film. Jusque-là tout va bien. Sauf que
ce pauvre garçon qui tenait la caméra était
un peu traité comme nous : certains jours, il n'avait
pas le droit de mettre les pieds sur le plateau, d'autres
jours, il était chaleureusement invité à
tourner par Godard. Cette caméra avait un autre usage.
Quand j'ai vu Godard faire un signe à ce type pour
filmer une conversation problématique entre lui et
moi basée sur la mauvaise foi, je me suis dit que
j'étais tombé dans un piège. Voilà
un moment de réel dangereux car hors contexte : on
ne sait pas ce qui précéde, ce qui suit, et
après on le voit à la télévision.
L'équipe de "cinéma cinémas"
s'en est emparé pour la première fois Contexte
: la leçon du maître à un pauvre crétin
qui n'y comprend rien (le pauvre crétin c'était
moi).
Puis les années passent et le même
extrait repasse dans l'émission "Godard et la
télévision" puis en juin dernier dans
un portrait de Johnny Halliday sur Canal Plus. Toujours
la même séquence tronquée. "Cinema
Cinémas" aurait du s'interroger sur l'origine
de cette séquence. Qui a commandité ça
? Qu'est-ce qui se passe avant et après ? Car avant
il y avait une question posée à Godard qui
l'a mis en rogne. Elle n'est pas dans le film et la chute
non plus.