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Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Quelle était cette question ?

Bruno Nuytten : On était en plein été. Et Godard ne voulait pas que j'éclaire. J'avais un réflecteur et le droit d'allumer de temps en temps une lampe qu'il éteignait généralement pendant qu'on tournait. C'était un jeu du chat et de la souris. Dans une scène où Johnny était filmé de dos devant une fenêtre, face à lui, il y avait une façade éclairée plein soleil, blanche à hurler, qui devait faire 64 de diaph', à l'intérieur il y avait un-quatre. J'ai dit à Jean-Luc "qu'est-ce que tu veux voir ? Dehors, dedans, ou un peu des deux ?". Il y a eu un silence. Et Godard a dit "ben voilà, il a pas lu le scénario, c'est toujours pareil, personne ne lit le scénario, tout le monde s'en fout..." et c'est parti là-dessus. Il a monté alors le ton "de toute façon vous n'avez rien inventé vous les techniciens, etc".


Objectif Cinéma : Peut-être que finalement cet épisode se retourne contre lui ?

Bruno Nuytten : D'abord ce serait dommage que ça se retourne contre lui, ensuite rien ne peut vraiment se retourner contre Godard.


Objectif Cinéma : Mais ça entretient l'idée que Godard n'aime pas les techniciens et préfère travailler seul...

Bruno Nuytten : Je ne sais pas si ça disait vraiment ça. Je l'ai rencontré au moment où il n'avait plus vraiment envie de travailler avec des opérateurs. Pourquoi m'avoir choisi ? Je ne lui avais rien demandé. Je ne sais pas si c'est lui ou la production mais quelqu'un m'a quand même fait appeler un jour pour faire ce film ! Je ne connaissais pas Johnny , un peu Nathalie Baye. J'avais déjà travaillé avec Sarde, mais je n'avais jamais rencontré Godard de ma vie. C'est très bizarre de me choisir et de m'écarter dès le premier jour ! Alors évidemment dans ces moments-là, on peut dire "merde" à un mec et se casser. Je me suis trouvé deux fois dans cette situation, une fois avec Godard et l'autre avec Zulawski à Berlin. Le moment où on a envie de quitter le plateau arrive très vite et on ne le fait pas. On préfère montrer qu'on va durer jusqu'au bout et on sort usé de là. Je me suis posé alors quelques questions fondamentales sur ce que je faisais.


Objectif Cinéma : Travailler avec Eric Gautier ne vous a pas posé autant de problèmes ?

Bruno Nuytten : Il a quand même changé depuis "Albert souffre". Il a été au contact de cinéastes très en vue, il a donné beaucoup à Chéreau à l'occasion de "ceux qui m'aiment prendront le train". Il lui a donné une matière qui lui ressemble (cette façon de brutaliser un peu tout ressemble au théâtre de Chéreau, son théâtre aurait pu être filmé comme cela à certains moments).

Eric est un merveilleux cadreur, très intelligent, ce n'est pas un cadreur musclé, il se laisse aller dans sa sensation ou ses sentiments de ce qui est à filmer, et son corps suit. Le grand sportif qui arrive en baskets, c'est souvent à éviter... Eric a une vraie élégance, il aime les acteurs. On a une approche similaire : par exemple ça ne sert à rien de commencer le matin à neuf heures pour faire le premier plan. Il faut réfléchir et essayer de trouver quelque chose. Mais si le premier plan n'est pas en boîte le soir, tout le monde s'angoisse ! Avec Eric, on ne tournait jamais avant quatre heures de présence sur le plateau.