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Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Comment est venue l'idée de Fragments sur la misère ?

Christophe Otzenberger : Lorsque Arte m'a passé commande d'un film sur la misère, je ne voulais surtout pas faire du cinéma direct. J'ai trop souvent rencontré de lascars qui ne cessent de dire que la rue est un choix, juste pour la rendre un peu plus supportable. Avec la technique du cinéma direct cet écueil était difficilement dépassable. Sur le fond, je souhaitais surtout parler de l'injustice. C'est pourquoi j'ai mêlé la misère de la rue avec le monde du travail, pour montrer que les gens acceptent l'injustice au travail comme ils l'acceptent dehors. De manière plus formelle j'avais à l'esprit Chronique d'un été de Jean Rouch et Edgar Morin dans lequel on questionne les gens et Le joli mai de Chris Marker, pour cette manière inimitable de se balader dans les rues. Cinématographiquement cela fonctionne très bien et je trouvais que le sujet du film était approprié.


Objectif Cinéma : Tu interroges tout un tas de gens sur des modes très différents. Cela donne une grande richesse de points de vue.

Christophe Otzenberger : Je ne suis pas sûr qu'il y ai tant de gens que cela. Ce qu'on retire de tous ces témoignages, c'est une certaine inutilité de toutes ces actions qui ne sont que des caches misère. Mais il y a des personnes comme la femme flic qui sont absolument formidables. Au Secours Populaire en revanche, j'ai rencontré des chefs qui, à la différence des militants, sont des gens absolument imbuvables. Je n'ai pas monté ce passage parce que formellement il n'avait pas sa place dans l'ensemble du film, à mon grand regret. Mais je voudrais dire autre chose. Parmi les gens qui réfléchissent, un des militants des Restaurants du Cœur me disait qu'on ne pouvait pas imaginer l'ONU attendre qu'il y ai 4 millions de morts pour intervenir. Certes. Mais quand Chirac et Jospin, un Président et un Premier Ministre, objectivement responsables d'une situation dans laquelle des gens ne mangent pas à leur faim, viennent inaugurer les Restaurants du Cœur, c'est le monde à l'envers. J'aurai honte à leur place. Mme Collucchi à tord de les laisser faire, même si cela donne plus de poids médiatique à ce qu'à crée Coluche. Je me dis que ces gens n'ont honte de rien. Cette honte de rien me fait très mal.


Objectif Cinéma : Cela se sent très bien lorsque Alain Juppé et Hervé de Charrette fuient devant tes questions pressantes. C'est un moment très fort. Alors que ton film est principalement fondé sur la parole, il y a ces images silencieuses, ce silence des politiques. Et puis il y a Yvette Roudy…

Christophe Otzenberger : Lorsque j'ai filmé à l'Assemblée, nous revenions de Lorraine ou nous avions filmés la veille. J'étais fatigué, les cheveux sales, je portais des baskets rouges et un jean qui devait tenir debout, autant dire une allure pas vraiment conforme à l'esprit du lieu. Les pigistes des JT jetaient des regards curieux, se demandant qui je pouvais être. Puis l'information a rapidement fait le tour et les attachés parlementaires se sont raréfiés autour de moi. Je devais leur courir après. Yvette Roudy n'a pas compris comment quelqu'un pouvait oser lui dire " non madame ". En règle générale, les politiques ne savent pas comment répondre à la contradiction. Ils se contentent de dire " je fais ce que je peux là ou je suis ". C'est à peu près tout. Il n'ont même pas ce sentiment d'impuissance qui les rendrait un peu plus humbles, à la différence des flics ou du personnel d'Emmaüs chez qui il y a de la magie. Eux n'hésitent pas à dire " je ne sais pas ". Moi non plus je ne sais pas. Le sentiment d'impuissance est déjà formidable parce qu'il implique que tu as au moins quelque chose en toi. Je voudrais pouvoir faire, mais je ne sais pas quoi faire.