Objectif Cinéma : Dans
La conquête de Clichy, Schuller est un démagogue
incroyable, et on sens que tu as du plaisir à la
filmer, parce que c'est un personnage presque romanesque,
tandis que l'autre est plutôt falot. N'as-tu jamais
eu peur de te laisser piéger par des gens comme Schuller
au moment tu les filmes ?
Christophe Otzenberger :
Non. Il y a un mot chez nous, dans
le cinéma direct, nous disons que c'est un "
bon client ". Personnellement, Schuller m'a toujours
fait rire. Je l'ai toujours trouvé très sympathique,
humainement parlant. C'est ce que dis la femme à
la fin du film, il gagne parce qu'il fait bien les bises.
Je suis quelqu'un de gauche, et même si je n'apparenterai
pas le PS à un réel parti de gauche, je suis
beaucoup plus à l'aise avec une personne d'obédience
socialiste, qu'avec un politique du RPR. Mais quand Catoire,
le Maire PS, dis à une électrice de ne pas
s'inquiéter au sujet des asiles pour SDF parce qu'on
les cache dans un endroit discret, je ne vois plus de différence
entre la droite et la gauche. Voir ce type qui ne sait pas
dire bonjour, fait enlever les bancs de la place des martyres
de l'occupation, parce que certains de ses électeurs
se plaignent que des arabes s'y assoient, qui conçoit
la ville d'une manière " urbanistique ",
c'est-à-dire comme une ville de banlieue, avec un
centre et la périphérie, quand il interdit
l'ouverture des petit bars après deux heure du matin
pendant la période du ramadan, de façon à
ce que les mômes fassent du bruit dans la rue plutôt
que dans des endroits isolés, ce qui a pour effet
d'augmenter les plaintes et les votes au Front National
et lui permet de garder la majorité, je ne peux pas
avoir de sympathie pour ce garçon. Je ne l'aime pas
et il le sait. Dans le cas de Schuller, il me semblait important
que le spectateur soit attiré par sa gouaille, par
le comédien prodigieux qu'il est, et qu'il soit lui
même pris dans la contradiction : " qu'il est
sympathique, mais quelles horreurs il dit ". C'est
un choix. Il y a, à Clichy, des gens tout à
fait charmants qui se sont laissés avoir par Schuller.
Je trouvais intéressant que ce soit lui qui entraîne
le film, amène la dynamique. Cela sans aucune complaisance
de ma part puisqu'au troisième plan on le voit dire
des horreurs fascistes. C'est un monstre de démagogie
mais y a t'il une différence entre sa campagne et
la campagne de Chirac deux ans plus tard ? Je trouve que
la manière de faire de la politique aujourd'hui est,
passe moi l'expression, une manière pourrie, et le
film montre comment ils s'y prennent pour gagner. Si j'avais
eu un " client " du PS j'aurai fait exactement
le même film. Chevènement aujourd'hui
Objectif Cinéma :
Attaches-tu beaucoup d'importance
à la forme. Cherches-tu à la problématiser
?
Christophe Otzenberger :
J'attache une importance extrême
à la forme et j'ai l'impression qu'on le voit. Ce
n'est pas parce que le sujet est grave qu'il faut être
ennuyeux. Avant de tourner, je choisi toujours ce que je
dois faire. J'avais à l'esprit la caméra d'Etienne
Becker dans Le joli mai, qui est absolument bouleversante,
ces plans très courts qui filent à toute allure.
Pour La conquête de Clichy, j'avais le cinéma
direct de Depardon, même si je trouve aujourd'hui
que le film pêche par trop de découpage de
fiction, chose que je mettrais à l'actif des erreurs
de jeunesse. Lorsque j'ai fait Une journée chez ma
tante j'avais le cinéma direct le plus total. Quant
à La force du poignet, il me semble que le film a
une forme trop propre. Le film que je vais commencer sur
les avocats, je sais déjà que je vais le tourner
comme une machine de guerre, quelque chose de très
mécanique.