Objectif Cinéma : J'ai
l'impression qu'il y a un souci d'efficacité dans
tes films. D'autres auraient tendance à prendre plus
leur temps.
Christophe Otzenberger :
Il y a quand même, rue de Rennes, un plan-séquence
de quatre minutes dans lequel un jeune homme dit des choses
très belles sur ses réactions face aux sdf.
Mais il est vrai que je n'aime pas m'ennuyer et que durant
les derniers jours de montage les films perdent quelques
minutes. Quand aux envolées lyriques c'est mon drame.
J'aimerai être un poète mais je n'y parviens
pas. La différence entre Marker et moi, nonobstant
toutes les autres différences, est là. Marker
se permet de la digression poétique, tandis que moi
qui ai une culture de cinéma efficace, pragmatique,
je ne sais pas filmer cela. Ce que sais bien faire Robert
Kramer, qui est l'un des meilleurs d'entre nous, je ne sais
pas le faire. Lui prend tout son temps. Dans Route One USA,
par exemple, la manière dont il parle aux gens est
beaucoup plus posée que la mienne. Le temps est un
peu mon ennemi.
|
|
|
|
Objectif Cinéma :
Tu attends beaucoup du discours
des gens, sur eux-mêmes ou sur une situation donnée
et tu attaches moins d'importance à leur manière
de vivre, à leurs gestes, quelque chose de plus silencieux,
davantage descriptif.
Christophe Otzenberger : Ce
que tu dis est juste. Cela dit, dans La conquête de
Clichy, tout est en perpétuel mouvement. Dans Une
journée chez ma tante, il y a ce jeu avec les mains.
Dans La force du poignet on voit des gens vivre, marcher.
Mais filmer Eliane, ma vendeuse de La force du poignet,
devant son fourneau, en présence de son mari, ou
bien assise devant sa télé, ça ne m'intéresse
pas. Je n'aime pas car je trouve cela fabriqué. Je
ne veux pas faire jouer à quelqu'un qu'il est seul
alors qu'il n'est objectivement pas seul puisque je suis
là, avec l'ingénieur du son, un assistant,
etc. Personnellement je préfère manger avec
cette personne (rire). Je reconnais que certains sont capables
de le faire, et bien même. Mais chez moi, vraisemblablement,
ça aurait sonné faux. C'est sans doute pour
cette raison que j'ai envie de faire de la fiction. Dans
La conquête de Clichy je n'ai choisi que des moments
ou tous sont en public. Schuller n'est jamais seul. En ce
qui concerne la parole, j'aime la filmer car tous mes films
reposent sur la responsabilité des hommes. Je continue
à penser qu'une chose intéressante dans le
monde est l'entendement humain, et conséquemment
la responsabilité que nous avons par rapport à
nos actes. Cela m'importe plus que tout. Lorsque le chef
d'Eliane, dans La force du poignet compare les vrp à
des chiens de chasse, c'est sa responsabilité qu'il
engage. Il y a des journalistes qui pensent que Fragments
sur la misère est un film culpabilisateur. Je ne
crois pas. Simplement, lorsque je vois un sdf et trente
mètres plus loin un homme avec une caméra,
personnellement je traverse.
Objectif Cinéma : Mais,
par exemple, dans Amsterdam Global Village, Van Der Keuken
enregistre le témoignage des gens mais filme aussi
des longues plages durant lesquelles on peut se laisser
porter par cinq minutes de musique techno.
Christophe Otzenberger :
L'écriture de Van der Keuken
est une écriture poétique, une écriture
de photographe - et pas de photographe reporter. C'est une
sorte d'esthète. Je ne suis pas sûr que ses
films ne mériteraient pas quelques coupes franches,
pour moi spectateur (rire). Si je faisais Paris Global Village
est-ce que je ferais cela
je m'interroge. Je ne suis
pas certain de savoir faire des plans silencieux qui voudraient
dire énormément de choses. En même temps,
les gens qui passent sans regarder à côté
d'eux il y en a en pagaille dans Fragments
Mais il
vrai que mon travail photographique préféré
est davantage celui d'un Don Mac Cullin ou d'un Larry Burroughs
que celui d'un Van der Keuken.