Objectif Cinéma : Et comment procédez-vous ?

Juraj Jakubisko : Je fais toujours des dessins, une sorte de story board des plans, et ces dessins me servent non seulement de repère pour limage mais ils servent aussi à déterminer le rythme du film. En voyant les dessins, je vois comment je peux monter... Et ça m'aide à gagner du temps au tournage car je peux tourner en fonction des axes de lumières et non chronologiquement; par exemple, les plans 1, 2, 7, puis 5, 6, 3, 4, après.

J'ai terminé la FAMU (ndlr : Ecole du Cinéma Tchèque D'où vient notamment Milos Forman) à l'époque où le cinéma sortait des conventions du théâtre et commençait à expérimenter avec limage. Ce que j'aime, c'est chercher des moyens nouveaux pour exprimer visuellement ce que j'ai écrit dans le scénario. Des fois, les problèmes sont vraiment épineux et je me dis " quelle est l'andouille qui a écrit ce scénario...c'est moi ! ". Il faut me résigner et chercher encore. Quand j'écris un scénario, ce n'est jamais quelque chose de complet... Je sais que je vais le modifier en fonction des lieux afin de capter ce qu'ils ont d'intéressant. Toutefois, lorsqu'une idée compliquée est écrite, je mets tout en œuvre pour la réaliser. En Tchécoslovaquie, les réalisateurs inventent eux-mêmes leurs effets spéciaux et visuels, il n'y a pas de spécialiste pour ça... J'ai souvent recours à des effets visuels, mais j'essaie de faire qu'ils soient réels, naturels et non le résultat de trucages... En ce qui concerne la lumière, c'est la même chose... il faut que la lumière soit belle, plastique et très naturelle. Je préfère la lumière naturelle aux filtres, même si j'en utilise parfois.

Objectif Cinéma : Les problèmes très concrets de mise en scène vous passionnent ?

Juraj Jakubisko : Oui, j'y prends un grand intérêt. Dans mon film L'abeille millénaire (1983), j'avais besoin que des milliers d'abeilles attaquent un mariage. Or il était hors de question que les comédiens tournent en présence d'abeilles qui risquaient de les piquer. Ils ne voulaient pas en entendre parler... Il est difficile de tourner avec des abeilles, elles sont organisées comme un Etat : elles ont leur armée, leur police, certaines encadrent les autres. J'ai demandé lavis de spécialistes qui mont déconseillé de tourner avec elles. J'ai envisagé d'avoir recours à des effets spéciaux, à de fausses abeilles, mais ce n'était pas la bonne solution. Finalement, j'ai pris des ruches en bois, j'ai fait enfermer de très jeunes abeilles à l'intérieur - elles n'étaient pas encore " disciplinées " et n'avaient pas de dard. Au moment du tournage, j'ai demandé qu'on ouvre les ruches rapidement devant les caméras, les abeilles apeurées sont sorties en vitesse, elles allaient dans tous les sens en cherchant désespérément à regagner la ruche...elles n'ont piqué personne.