Objectif Cinéma :
Que pensez-vous, Caroline, de cette
dernière phrase d'Aliénor à son mari
Bertrand " je saurais rester dans l'ombre " ?
Comment percevez-vous Aliénor ?
Caroline Ducey : C'est
un personnage bouillonnant issu d'une période en
pleine gestation, de troubles et cela m'intéresse
plus que les périodes dites de révolution.
Marie-Christine Questerbert :
Il faut dire qu'il y avait l'ici
bas et l'au-delà, deux espaces qui communiquaient
comme on peut le voir dans les tableaux de Jérôme
Bosch.
Caroline Ducey : Cette
période de mystère, où tout se mélange,
me fascinait. Le rôle d'Aliénor est sublime,
elle prend son destin en main sans avoir peur de tomber.
Elle a une innocence fonceuse, loin des rapports de pouvoirs
sociaux tels qu'ils peuvent s'exercer à la Cour.
Or, elle va devoir apprendre. De même, elle va devoir
transformer l'amour qui l'emplit et toucher l'autre, sans
priver Bertrand de sa liberté. Mais elle se retrouve
bloqué en face de lui car il n'aime personne, du
moins seulement les plaisirs frivoles de la séduction.
Alors qu'Aliénor est un bloc d'amour brut, fougueux.
Et lui dire ces mots, c'est respecter la liberté
de celui qu'elle aime.
Il me semble que Bertrand est un être
limité dans ses désirs égoïstes,
beau et fier comme un jeune gamin gâté. Et
Aliénor lui propose de l'élève et lui
demande de travailler avec elle le couple. Que tout n'est
pas acquis mais se joue dans un rituel érotique secret.
Caroline Ducey : Bertrand
est libre comme une jeunesse qui ne vit pas dans l'essentiel
mais dans une facilité. Sa liberté consiste
à régner sur ce qu'il veut, c'est tout. Il
a des obligations par son état de chevalier, sans
plus, même s'il met du temps à les accomplir.
Lorsqu'Aliénor débarque dans sa vie, elle
le perturbe, même si elle vient avec toute la force
de son amour. Au début, j'avais du mal à la
comprendre, c'est lors du tournage que j'ai ressenti et
compris ces mots " je saurai rester dans l'ombre ".
C'est extraordinaire car pour moi c'est un don total et
l'amour est un pari. Elle lui propose de jouer à
la fin car elle a compris énormément de choses,
elle s'est battue de toutes ses forces, elle a failli renoncer,
son amour a été tué plusieurs fois
en son coeur car il ne revenait pas. Elle est même
passée au-delà de sa fierté, allant
jusqu'à le voler en lui faisaint des enfants dans
le dos.
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Objectif Cinéma :
L'utopie de la rencontre romantique
est constament faussée, situant le film dans une
modernité assez cruelle...
Caroline Ducey : Je
dois dire qu'avec La Chambre Obscure j'ai fini de
sortir de l'adolescence et de son idéal romantique.
Ce qui me séduisait dans cette histoire était
cet enjeu : une véritable bataille amoureuse et érotique.
Aliénor ne peut pas vivre sans Bertrand et elle cherche
toute les ficelles jusqu'à celle-ci : savoir rester
dans l'ombre et l'accompagner tout doucement. Le personnage
de Melvil est très touchant car il se débat.
Je me souviens des conversations que j'avais avec Catherine
Breillat à ce sujet. Elle part du principe que les
femmes ont les mêmes instincts que les hommes : l'instinct
de conquête n'est pas l'apanage du masculin, il n'y
a pas de rôles et la femme est tout aussi conquérante
que l'homme. Melvil dans la scène de la grange est
touchant lorsqu'il pose sa question " c'est toi Lisotta,
c'est toi ? " je me souviens de cette scène,
j'étais dans la paille et je vois Melvil, séduite
par cette candeur toute mâle. C'est beau de voir un
homme pris dans une contradiction romantique et érotique.
Aliénor ressent aussi cette force du désir.
Elle lui propose un imaginaire érotique lorsqu'elle
lui souffle ces mots car c'est jouer que de rester cachés.
Elle lui fait un vrai cadeau. Elle lui donne une ombre pour
tous les deux, un secret entre un homme et une femme.
Marie-Christine Questerbert :
J'ai pensé au Japon. Il s'agit
de quelque chose de souterrain et cela rejoint le visage
noir d'Aliénor. Elle peut prendre beaucoup de visages.
Caroline Ducey : Il
s'agit du secret d'une femme. La chambre obscure est un
écrin L'ombre est un creuset dans lequel un homme
et une femme peuvent se retrouver. La fin est sage tout
en étant provocante.