Objectif Cinéma :
Compay Segundo et les autres musiciens
de " Buena Vista " étaient déjà
connus avant le film ?
Pascal Letellier : Déjà,
oui, mais la réputation de Compay Segundo a connu
une évolution vertigineuse. Quand je l'ai rencontré
en 84, la première fois où je suis allé
à Cuba, il n'était même pas connu dans
sa propre rue, personne ne le connaissait, à la Havane
ou ailleurs. A l'époque, il était à
la retraite, il avait 86 ou 88 ans, il avait été
un peu connu dans les années 50 comme chanteur de
pomplan. Avec la Révolution cubaine, la plupart des
cabarets, des boîtes de nuit et des hôtels où
les Américains venaient s'éclater, tout ce
qui créait une ambiance à la Havane, tout
ça a fermé. Il n'y avait plus de travail pour
les artistes, les musiciens, les orchestres. Il y a des
orchestres qui ont fait allégeance au pouvoir et
ont mis la musique au service de Castro et de la révolution
cubaine, il y en a d'autres qui sont partis aux Etats-Unis,
à Miami, et ça a entraîné l'émergence
de la salsa. Et puis il y a des gens qui sont allés
au boulot, qu'on a mis au boulot, et Compay Segundo s'est
retrouvé dans une usine de tabac, parce qu'il n'y
avait pas de travail pour les musiciens. C'est après
avoir pris sa retraite, assez tard, qu'il a continué
à faire sa musique, ses trucs avec ses copains, mais
il n'était pas connu à Cuba. Son triomphe
a été vachement rapide, ça a été
incroyable. Pareil pour Ibrahim Ferrer, qui s'est acheté
une maison il y a très peu de temps, une maison modeste
avec une petite terrasse, sans jardin : ils gagnent beaucoup
d'argent avec leurs disques maintenant, mais il y a quelques
années, c'étaient des gens très humbles.
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Objectif Cinéma : Est-ce
que le fait d'associer la musique cubaine à des musiciens
relativement âgés correspond à une certaine
réalité ?
Pascal Letellier : En
fait, c'est vrai qu'on ne s'en rend pas vraiment compte,
quand on se balade à Cuba, mais si on réfléchit
un peu, on s'aperçoit qu'il y a finalement relativement
peu de gens entre 25 et 45 ans. La plupart des forces vives,
des gens qui ont des choses à dire ou qui travaillent
sont partis en exil aux Etats-Unis ou dans un autre pays
étranger. C'est vrai qu'à Cuba, il y a beaucoup
de vieux et de tout jeunes, mais il y a très peu
de gens dans la quarantaine, notamment donc dans le domaine
de la musique. Pendant le temps du tournage, j'ai assisté
à trois ou quatre départs en exil définitif,
qui donnent lieu à des scènes terribles, dans
l'aéroport de Santiago par exemple.
Objectif Cinéma :
Au début, c'était
autour de Compay Segundo, Ruben Gonzales, etc., que devait
se construire Cuba Feliz ?
Pascal Letellier : Au
départ, le projet de Karim, c'était ça,
c'était essentiellement ce qu'il connaissait de la
musique cubaine. Je lui ai dit que la musique cubaine, c'est
aussi autre chose, il y a d'autres villes que la Havane,
il y a plein de formes musicales différentes, toutes
sortes d'instruments. C'est un peu comme un pays musical
: tous les Cubains connaissent des chansons, jouent un peu
de la guitare, ou chantent, ou dansent, c'est incroyable.
Autant à Haïti, il y a beaucoup de peintres
populaires, autant à Cuba c'est vraiment la musique,
qui est présente dans chaque région de l'île.