On est parti à Cuba en mai-juin
pour faire une sorte de repérage qui était
aussi une balade : on a traversé toute l'île,
et on a rencontré plein de musiciens, et là
il s'est rendu compte de la diversité et de la richesse
formidable de ce pays. Du coup, on s'est lancé dans
un film totalement différent du projet initial de
Karim Dridi.
Objectif Cinéma :
La notoriété des musiciens
choisis, El Gallo par exemple, est donc bien moindre que
celle de Segundo ?
Pascal Letellier : Ceux
qui connaissent la musique cubaine populaire reconnaîtront
peut-être par ci par là tel artiste plus ou
moins connu ou qui a pu venir en tournée en Europe,
mais il y a aussi d'autres artistes dont on n'a jamais entendu
parler parce que ce sont tous des amateurs. On a filmé
des vedettes, mais la plupart ne sont pas restées
au montage. Parmi les musiciens connus, on peut voir par
exemple les Cubano Jubilados ou encore Pepin Vaillant, le
trompettiste excentrique : il a fait une petite carrière
de showman dans les années 50 dans les hôtels
et les cabarets cubains et puis, par la mafia, il a pu venir
en Europe, il a débarqué à Naples,
il est remonté à Paris où il a travaillé
aux Folies Bergères, au Moulin Rouge, avec Maurice
Chevalier, Joséphine Baker ou des artistes comme
ça, aux côtés de musiciens comme Sydney
Bechett ou même Armstrong avec qui il a travaillé
une fois.
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Mais dans le film, on suit en particulier
un personnage, Gallo, qui joue à peu près
son rôle, c'est-à-dire que c'est un clochard,
il fait la manche dans la rue. Il n'était jamais
allé à Santiago : les Cubains ne voyagent
pas beaucoup et, d'une certaine façon, il a découvert
l'île grâce à ce film-là. C'est
un amateur à proprement parler, il a un répertoire
important, il doit connaître 300 ou 400 titres qu'il
chante pour gagner trois sous ou pour qu'on lui paye un
verre de rhum. Il ne connaît pas vraiment le milieu
des musiciens, il est très à part, et il est
même considéré comme un pauvre type
par les musiciens professionnels. Il n'a pas vraiment d'existence,
parce qu'il y a finalement peu de chanteurs à guitare
à Cuba.
On l'a pris avec nous, on s'est dit qu'on allait l'emmener
deux trois jours jusqu'à la ville suivante et qu'après,
on lui paierait le train ou le taxi pour revenir mais, petit
à petit, il est resté avec nous. Il n'avait
pas de vêtements, pas de valise évidemment
: il a fallu qu'on l'habille, qu'on lui achète des
fringues, ce qui fait d'ailleurs qu'il a toujours le même
costume, même si on n'avait pas acheté ça
pour le tournage. On ne pouvait pas s'en séparer,
même s'il n'était pas particulièrement
quelqu'un de marrant ou quoi que ce soit : il était
juste là, sympa, il nous suivait, et donc on l'a
gardé avec nous. Le preneur de son, Michel Brethez,
s'escrimait pour essayer de sortir quelque chose de sa guitare,
mais sa guitare était pourrie, c'était une
catastrophe, elle se désaccordait en trois minutes,
c'était n'importe quoi, une casserole totale. Gallo
s'était plus ou moins cogné et battu avec,
elle était scotchée et rafistolée de
partout. Mais Karim aimait le filmer, parce qu'il y avait
dans son regard quelque chose de vraiment tragique et il
nous donnait une image assez juste de ce qu'est la Havane.
Du coup, quand on est arrivé à Santiago, je
suis allé voir un luthier que je connaissais pour
lui demander s'il pouvait fabriquer une guitare. Il était
d'accord, mais pour faire une guitare, il faut quand même
pas loin d'un mois de boulot si on ne fait que ça,
d'autant plus qu'on ne trouve pas facilement les ingrédients,
les espèces de bois différentes, les cordes,
etc. On était là à Santiago pour une
semaine au départ, on était en pleine balade,
en plein voyage, mais du coup, on est resté à
Santiago le temps que la guitare se fasse, et on est donc
resté beaucoup plus longtemps que prévu, même
si le luthier a travaillé vite puisqu'il a terminé
la guitare en vingt jours.