Objectif Cinéma :
Par conséquent, quels étaient
les critères qui permettaient de décider quelles
scènes devaient figurer dans le film ?
Pascal Letellier : C'est
au montage que ça s'est fait. Quand la monteuse a
reçu les rushes, elle a d'abord regardé l'intégralité
de ces 115 heures puis elle a pensé que la seule
façon de pouvoir traiter cela, c'était de
reprendre la chronologie du tournage, et c'est donc la chronologie
du voyage qui a servi de trame. On a aussi essayé
ensuite de faire émerger des personnages qui sont
bien incarnés et qui finissent par représenter
quelque chose par rapport à la musique cubaine, que
ce soient les vieux paysans totalement alcooliques du fin
fond des montagnes de Guantánamo qui jouent du changui
(on est vraiment là à la source des traditions
du son et de la musique cubaine) ou les chanteurs de rap,
qui est une forme très importante aujourd'hui de
musique de quartier populaire à Santiago mais aussi
à la Havane.
L'intérêt de l'écriture du film, ça
a été de réunir des gens qui n'ont
jamais l'habitude de jouer ensemble et qui, a priori, ne
se connaissent même pas, c'est-à-dire mettre
un rappeur avec les chanteurs de changui de Guantánamo,
c'est presque un scandale a priori pour eux : au début,
ils se demandaient ce qu'il faisait là, qui l'avait
autorisé à venir au beau milieu d'un tournage,
et il y a eu une véritable friction, qui a été
filmée et qui figure d'ailleurs dans le film, où
le rappeur se justifie en disant qu'il est dans son quartier,
etc. Il y a une espèce de débat musical et
social en même temps, entre le rat des villes et le
rat des champs. C'est ce genre de rapport qui donne un peu
du pep au film, et qui montre à la fois la variété,
la richesse et également la composition un peu géographique
de la musique à Cuba, qui change de ville en ville.
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Objectif Cinéma :
Comment se déroulaient les
prises de son ?
Pascal Letellier : Michel
Brethez, l'ingénieur du son, était parti avec
un petit peu de matériel, mais il avait bidouillé
un micro stéréo à deux têtes
sur une perche qu'il a utilisé d'un bout à
l'autre du film sans toucher aux autres micros qu'il avait
dans sa petite mallette. Il a toujours travaillé
avec ce seul matériel, que ce soit en intérieur
ou en extérieur, avec un seul musicien ou avec tout
un groupe. Brethez était l'ingénieur du son
de Gainsbourg. Le son est plus important que l'image, dans
ce film. A la limite, l'image est là pour accompagner
le son.
Objectif Cinéma :
Le film est donc représentatif
de toutes les formes musicales présentes à
Cuba ?
Pascal Letellier : Oui,
mais il y a énormément de choses qui ont sauté.
Il y a de vieux orchestres qui interprètent de la
musique qu'on jouait au XIXe siècle et qui sont encore
très vivants, et ces scènes-là n'ont
pas été conservées. Il y a des chanteurs
burlesques, comiques, picaresques, comme Goura Vieiro, qui
est un chanteur génial, et ça n'a pas été
conservé non plus. En fait, il y a ce personnage
de Gallo qui sert un peu de colonne vertébrale au
film, alors qu'il n'était pas pour nous un personnage
central au départ parce qu'il est juste interprète,
il connaît plein de titres, mais il n'est pas musicien
compositeur, il ne joue pas très bien de la guitare,
il n'a par exemple quasiment jamais été en
situation de chanter devant un micro. Là, il était
avec nous, mais il était un peu largué au
départ, et ça se ressent dans le film, on
voit qu'il évolue petit à petit, sa personnalité
s'affirme petit à petit dans le film parce que le
montage suit la chronologie de l'histoire, mais c'est quelqu'un
qui est un peu décalé. L'attraction qu'a pu
exercer Gallo sur Karim, c'est que, par rapport à
Compay Segundo, il se trouve complètement à
la marge, complètement hors-jeu, et il le restera
tout le temps. Il aurait voulu être une star, mais
il restera toujours à la marge.
Il ne faut pas oublier que Karim Dridi a réalisé
un film qui s'appelle Hors-Jeu : il aime s'intéresser
à tout ce qui est en dehors, à la périphérie.