Objectif Cinéma :
Comment Gallo a-t-il vécu
la fin du tournage ?
Pascal Letellier : Grâce
à ce tournage, il a gagné suffisamment d'argent
pour s'acheter une baraque, je ne sais pas s'il l'a achetée
mais il avait de quoi le faire. Il est venu en France, c'était
son rêve, pour la sortie du film : il a passé
une dizaine de jours en France, et pour lui c'était
une sorte d'accomplissement. Au niveau discographique, je
ne suis pas certain qu'une maison de disques s'intéresse
réellement à lui, qu'il y a eu une percée
par rapport au film, mais c'est possible, les maisons de
disque signent à tour de bras pour les artistes cubains
parce que c'est à la mode et que ça se vend
bien. Je sais que pour la sortie du film au Japon, les Japonais
insistent beaucoup pour qu'il vienne. Il ira donc probablement
au Japon, ce qui sera encore une deuxième hallucination
pour lui. Sa culture, c'est la télé, c'est
les telenovelas brésiliennes, et il a vécu
toute cette histoire comme une hallucination, un peu comme
une telenovela à plusieurs épisodes, le tournage,
le voyage en France, etc. Le fait de chanter devant un public
étranger et d'être applaudi après ses
chansons, comme c'est arrivé à Paris quand
il a chanté dans quelques cinémas, c'était
incroyable pour lui parce que, dans son propre pays, il
chante cinq chansons dans des bars pour un verre de rhum.
Objectif Cinéma :
C'est un peu grâce à
Gallo que vous êtes passé d'un documentaire
pur à une sorte de fiction ?
Pascal Letellier : C'est
plutôt un film musical, une balade musicale. Je suis
intitulé " scénariste " dans le
générique du film, mais en fait, ce n'est
pas vraiment le cas, j'ai plutôt accompagné
un réalisateur dans son désir de connaître
Cuba, dans son désir d'essayer de décrypter
l'origine de l'émotion musicale en choisissant Cuba
comme un terrain d'investigation. Je pense qu'on aurait
pu faire un film un peu analogue aux Manilles, ou en Andalousie
avec des artistes flamenco. Ce qui est intéressant,
c'est que Karim Dridi n'aime pas du tout les musiques de
film. En général, il s'agit d'une espèce
de musique qui vient pour renforcer, souligner ou colmater
une image un peu pauvre à l'aide de violons ou de
choses comme ça. Il préfère un cinéma
brut, direct, plutôt réaliste, âpre.
En revanche, il aime bien la musique dans les films, et
notre idée, c'était de faire un film de musiques,
le film de la musique, et que le scénario, le contenu
discursif de l'histoire, soit composé de musiques
qui s'enchaînent pour aboutir à un film tourné
sur des partitions de musique qui viendraient s'enchaîner
les unes derrière les autres.
C'était ça un peu
l'histoire : qu'une chanson en entraîne une autre,
puis une troisième, une quatrième, etc. Ça
a posé de grands problèmes au montage, parce
qu'il fallait que tout soit raccord. C'est donc plus un
film de musiques, contre la musique de films, d'une certaine
façon. Le problème était de filmer
la musique et d'aller le plus loin possible aux sources
de la musique, que ce soit en terme de musicologie ou en
terme d'émotion : même si on ne comprend pas
un mot des paroles, même si on ne connaît rien
de la culture d'un pays, il y a des choses qui passent et
qui nous émeuvent. Ce que racontent les gens dans
ce film-là, la plupart du temps, ce n'est pas extrêmement
intéressant, sauf Pepin Vaillant, parfois, quand
il parle de la nature, des relations de la musique avec
la nature. Même les paroles des balades ou des boléros
n'ont que peu d'importance, ce sont des histoires d'amour,
d'absence, de vengeance, de mort, de désir, de choses
basiques. La musique ne parle que de sentiments et de choses
universelles : le bonheur, le malheur, la solitude, la tristesse,
la misère, la révolution, des sentiments premiers
partagés par tout le monde. Dans le monde entier,
tout le monde y adhère, et les chansons cubaines
ne sont pas spécialement des chansons à grands
textes.