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Objectif Cinéma : Est-ce qu'il y avait également une volonté de filmer non seulement les musiciens, mais aussi le peuple cubain, les spectateurs ?

Pascal Letellier : On voulait vraiment filmer la musique, et comme on voulait aller à l'intérieur de la musique, pour essayer de trouver l'origine de cette émotion musicale, on est plutôt allé filmer les gens dans leur cuisine ou dans leur arrière-cuisine que sur scène. On ne voulait pas filmer la musique sur scène, la musique spectacle, mais la musique à la source. Par exemple, cette femme, Zaïda, qui est en train de préparer du café dans sa cuisine et qui se met à chanter, c'est vraiment une situation qui a été filmée telle qu'elle s'est passée.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

D'ailleurs, la plupart des choses qui sont montrées, qui constituent le film, sont souvent de petites séquences off, des scènes qui ont été filmées après ou avant ce qui avait été organisé. Ça pourrait se produire aussi pour cette interview, pour faire un rapprochement : on est en train de discuter, et on va sans doute continuer la conversation après la fin de cet entretien, et c'est peut-être là qu'on pourrait se dire les choses les plus intéressantes. Dans le film, on préparait une situation, avec des musiciens, on tournait pendant deux heures, et puis après tout le monde se détendait, se lâchait ; tout est fini, il n'y a plus de lumière, et puis tout d'un coup, dans un coin, il y a un mec qui prend une guitare et qui joue de façon très spontanée, et là, si on trouve le courage d'aller filmer ça, c'est souvent là que ça se passe vraiment. Ça a été un travail très intense et très fatigant. On formait une toute petite équipe, et donc on était tout de suite présent sur l'action. Ça a été filmé en DV, et donc en un quart d'heure on était en place pour filmer.

Par exemple, au début du film, Pepin Vaillant, le trompettiste, se présente à Gallo, et celui-ci lui chante " Besame Mucho " (qui n'a d'ailleurs rien de cubain), et on entend un chien qui aboie derrière : Gallo trouvait que ce chien l'emmerdait, Vaillant disait que c'était formidable, que c'était la nature, et il y a donc une discussion qui s'entame autour de ça : cette séquence-là a été filmée alors que tous les autres musiciens étaient quasiment partis après deux ou trois heures de travail, vers la fin de la soirée ; on était là pour le filmer, et en fait c'est ce qui est resté, parce que tout ce qui a été filmé avant, qui était bien préparé et bien organisé, est parti à la poubelle. De la même façon, la séquence du changui, la fête populaire campagnarde, a nécessité une journée de préparation, c'était énorme et très compliqué à mettre en œuvre, mais en fait, ce qui reste, c'est l'engueulade, la prise de bec entre le jeune rapeur et le vieux musicien de changui, et cette scène était totalement à côté de la séquence elle-même. On recherchait la vraie vie, et elle est souvent en dehors de ce qui est préparé, pensé et réfléchi, lorsque les gens sont vraiment eux-mêmes.


Objectif Cinéma : C'est donc principalement pour cette raison que la DV a été choisie ?

Pascal Letellier : On a choisi la DV pour la mobilité. Au départ, on était parti sur l'idée d'un documentaire, on voulait être le plus léger possible, le plus discret possible. Et puis la musique vient du corps et parle au corps, la musique cubaine en particulier, un peu comme la musique africaine, ça provoque la danse, et Karim a vraiment filmé en dansant. On peut tenir la DV à la main et danser, et il filme plus avec son ventre et avec ses hanches qu'avec ses yeux, à la limite : c'est le corps qui fait regard. Il filme en dansant, la caméra suit le mouvement de la danse, l'image est celle du corps, et ce n'est pas possible d'obtenir ça avec une grosse caméra. On peut aussi filmer une séquence pendant deux heures avec une DV, sans avoir à changer de bobines, à tel point qu'on finit par oublier qu'on filme, parce qu'il n'y a pas forcément nécessité d'installer des éclairages de soutien, et on finit par amasser une quantité considérable de pellicule ainsi. Il y a donc la possibilité de filmer beaucoup mais aussi de garder les excès, les débris, les déchets, qui n'étaient pas prévus mais qui reviennent au centre. La DV est discrète, elle a une très bonne définition qui permet de filmer en faible lumière, c'est léger : à la limite, c'est comme un instrument de musique. Karim travaillait parmi les musiciens, un peu comme eux : il faisait ses impros lui aussi, il y a une espèce de fusion de l'œil, du corps et de la musique. Il jouait avec la caméra comme les musiciens jouent de la guitare.