Objectif Cinéma :
Comment les musiciens vous ont-ils
accueillis, ils n'étaient pas méfiants au
départ ?
Pascal Letellier : Non,
pas du tout. D'abord, j'en connaissais beaucoup d'avance,
et puis on a fait un bon repérage pendant un assez
long moment, de façon précise et assez méticuleuse,
pour voir un maximum de gens et surtout pour les écouter,
pour glaner des informations sur la musique à la
fois dans son contenu, dans son contexte, dans son environnement.
Les musiciens comprenaient assez bien ce qu'on cherchait.
Notre équipe légère de trois ou quatre
personnes vivait comme les Cubains, il n'y avait donc aucun
signe extérieur de production onéreuse, on
vivait dans des piaules chez l'habitant, etc. Il nous aura
fallu du temps pour apprendre à danser, apprendre
à boire, à vivre avec les musiciens pour aboutir
à une sorte de fusion avec eux. Et on avait un deal
très clair avec eux : ils avaient tous un contrat,
ils étaient payés à la séance.
Au départ, ils savaient que c'était pour un
tournage, mais qu'il y avait telle somme d'argent, et donc
ils se lâchaient complètement, c'était
comme une sorte de jam session permanente.
Objectif Cinéma :
Vous êtes également spécialiste des
musiques africaines. Sur Cuba Feliz, vous aviez donc un
peu le rôle de conseiller musical ?
Pascal Letellier : Oui,
Karim est venu me chercher pour ça, sur la base des
connaissances que j'avais des gens, de la musique cubaine
en général, des musiciens en particulier,
et de Cuba aussi. On n'est pas parti au hasard à
Cuba, il y a eu un parcours qui a été dessiné
et décidé au départ, la station prolongée
à Santiago a été due à cette
histoire de guitare de Gallo et nous a fait modifier un
petit peu le parcours parce qu'on devait rester à
Camagüey plus longtemps, à Santa Clara aussi,
et ça n'a pas été possible. Ça
a modifié le cours du film parce qu'à Santiago,
il s'est produit un nombre incroyable de choses au niveau
des rencontres et des hasards. La rencontre d'un musicien
pouvait provoquer tout d'un coup l'envie d'aller chez lui
le lendemain, d'aller le voir, de faire un truc avec lui,
ce qui pouvait ensuite se répercuter sur autre chose.
Il y a donc une part de hasard, de la spontanéité
de la vie quotidienne qui entrait dans le tournage, même
si on essayait toujours de contrôler un peu les choses,
parce qu'on était en train de faire un film et pas
des reportages. Cuba Feliz n'est pas un reportage, c'est
un film construit, tout est mis en scène, tout est
organisé, tout est pensé, mais, en même
temps, c'est pensé dans l'instant et dans l'instinct.
Il y a à la fois une part d'instinct très
forte (la personnalité de Karim) et la volonté
de faire quelque chose de plus exhaustif, qui était
plus de mon fait, pour essayer de montrer la musique cubaine
comme on la voit rarement.
Objectif Cinéma :Y
avait-il également une volonté de souligner
une évolution entre le début et la fin du
film, notamment dans l'itinéraire de Gallo ?
Pascal Letellier : J'avais
eu pendant un moment l'idée de faire un travail sur
la relation qu'il y a entre le son cubain et le flamenco
espagnol : il y a une vraie relation entre les deux, puisque
la rumba flamenca vient directement de Cuba, le flamenco
a intégré les percussions, il y a des éléments
de flamenco andalou dans la musique cubaine, il y a même
une influence arabe dans cette musique, etc. L'idée
s'inspirait du voyage de Magellan, qui part de Séville,
fait le tour du monde, part dans une espèce de voyage
sans fin et qui, à la fin, se retrouve au point de
départ, au même endroit, et il découvre
que la Terre est ronde et que finalement tout revient au
même : on peut partir dans un délire absolu,
imaginaire et incroyable, mais en fait, comme dans un rêve,
on se réveille à la fin et on se retrouve
dans son lit.